Zátopek, héros de BD

'Zátopek', photo: Argo / Paseka
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C’est assurément un des événements littéraires de l’année en République tchèque. Après une biographie* en novembre dernier, une bande-dessinée consacrée à Emil Zátopek sort en librairie ce mercredi. A quelques mois des Jeux olympiques de Rio, le livre, scénarisé par Jan Novák et dessiné par Jaromír Švejdík, alias Jaromír 99, ne retrace pas seulement les plus grands exploits sportifs du légendaire coureur, mais revient aussi sur un épisode moins connu de son opposition au régime communiste ou encore son histoire d’amour avec son épouse Dana.

'Zátopek',  photo: Argo / Paseka
« Zátopek… když nemůžeš, přidej » - littéralement « Zátopek… quand tu n'en peux plus, accélère » - est le titre de cette BD très attendue par le public et la critique tchèques. Un titre qui résume assez bien la philosophie de vie qui était celle d’Emil Zátopek sans prétendre être celui d’une biographie classique, comme l’explique l’auteur du texte Jan Novák :

« C’est l’histoire de sa vie jusqu’au point culminant de la trajectoire de celle-ci, c’est-à-dire donc depuis son enfance et la répugnance qu’Emil éprouvait pour l'effort sportif jusqu’à sa victoire dans le marathon olympique d’Helsinki en 1952, qui a aussi été le premier marathon de sa carrière. Cette victoire a couronné son triplé lors de ces Jeux (médailles d’or du 5 000, du 10 000 mètres et donc du marathon, ndlr), un triplé qu’aucun autre athlète n’a plus réussi depuis. J’ai fait le choix de m’arrêter là, parce que j’ai voulu me concentrer sur le passage qui a précédé ces Jeux d’Helsinki, où Zátopek s’est rebellé contre la machinerie alors omnipotente du sport placé sous l’égide de l’Etat. »

Jan Novák,  photo: David Vaughan
Si le triplé de Zátopek s’est inscrit en lettres d’or dans la grande histoire olympique, la petite histoire, elle, rappelle qu’Emil, qui s’était officiellement engagé vis-à-vis du régime à ramener au moins deux médailles, a d’abord refusé de s’envoler pour Helsinki. Et c’est précisément de cette démonstration d’indépendance d’un homme pourtant militaire de carrière, et qui jusqu’alors n’avait jamais rechigné à participer à la propagande du Parti, dont Jan Novák s’est inspiré :

« C’était une époque où les hockeyeurs tchécoslovaques champions du monde venaient d’être envoyés dans les mines d’uranium (cf. : http://www.radio.cz/fr/rubrique/panorama/il-y-a-60-ans-les-hockeyeurs-champions-du-monde-etaient-envoyes-dans-les-camps-dinternement-communistes). Les procès politiques avaient abouti à des condamnations à mort de prétendus opposants au régime… C’est dans ce contexte sombre que Zátopek décide de prendre fait et cause pour Stanislav Jungwirth, un autre coureur que les dirigeants communistes refusaient d’envoyer aux Jeux pour des motifs politiques. Zátopek dit alors qu’il ne participera pas lui non plus tant que Stanislav ne sera pas autorisé à se rendre en Finlande. Jungwirth était un excellent coureur, puisqu’il est devenu plus tard recordman du monde du 1 500 mètres. Avec Zátopek, il était d’ailleurs le seul athlète tchécoslovaque à pouvoir prétendre à une médaille. Finalement, deux jours plus tard, tous les deux ont été autorisés à rejoindre le reste de la délégation à Helsinki. Jungwirth, qui n’était pas encore remis de ses émotions, a été éliminé dès les demi-finales, tandis que Zátopek a puisé sa motivation dans cette affaire, car il savait parfaitement ce qui l’aurait attendu à son retour à Prague s’il n’avait pas obtenu les résultats escomptés. »

Jaromír 99,  photo: ČT24
Cette atmosphère de répression et de terreur qui caractérise le début des années 1950 en Tchécoslovaquie et plus généralement dans les pays de la sphère soviétique, le dessinateur Jaromír 99, dont le public francophone a découvert le talent dans la trilogie ferroviaire Alois Nebel ou dans l’adaptation du Château de Kafka (cf. :http://www.radio.cz/fr/rubrique/culture/alois-nebel-des-sudetes-aux-etals-des-librairies-francaises), la fait revivre à travers le choix de couleurs vintage :

« Je me suis inspiré du mouvement artistique du réalisme socialiste et surtout des affiches soviétiques de propagande, qui étaient d’ailleurs magnifiques. Les années 1950 évoquent les ténèbres, l’obscurité, mais c’est une voie dans laquelle je n’avais pas envie de m’engager. C’est pourquoi je les ai imaginées en couleur, avec par exemple les drapeaux des Jeux olympiques. Mais j’ai choisi des couleurs de l’époque, notamment le rouge brique qui est prédominant. C’était la première fois que je travaillais avec des couleurs, et j’ai tenu à ce qu’il n’y en ait pas trop. »

'Zátopek',  photo: Argo / Paseka
Modérément colorée donc, mais aussi remplie de ces anecdotes qui ont concouru à la sympathie entretenue aujourd’hui encore dans le monde entier pour Emil et le couple Zátopek, cette nouvelle bande-dessinée, publiée par les maisons Paseka et Argo, devrait donc ravir aussi bien les adeptes du 9e art que les amateurs de sport et les passionnés d’histoire.

Pour la biographie, cf. : http://www.radio.cz/fr/rubrique/sport/olympique-2016-sera-aussi-lannee-zatopek.