Des « compensations » contre l’annexion de la Crimée : avis de tempête après les propos de Zeman

Miloš Zeman, photo: ČTK

L’annexion russe de la Crimée est « un fait accompli » pour le président Miloš Zeman, qui, dans un discours prononcé mardi devant l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, a déclenché une de ces polémiques dont il a le secret. Selon lui, l’Ukraine devrait entamer des discussions pour demander des compensations. L’avis du chef de l’Etat tchèque a été qualifié de « scandaleux » à Kiev et vertement critiqué par une large partie du spectre politique tchèque.

Miloš Zeman,  photo: ČTK
Miloš Zeman a fait parler la poudre mardi matin lors de son allocution à Strasbourg à l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, à l’heure où la République tchèque préside le Comité des ministres de l’organisation rassemblant 47 Etats européens. Prenant l’exemple de l’échec de la politique de sanctions économiques et d’embargo à l’égard de Cuba, il a d’abord défendu la levée des sanctions décidées par l’Union européenne à l’encontre de la Russie, selon lui contre-productives. La position du président sur ce point n’est pas nouvelle. Dans son discours, intégralement en anglais, Zeman s’est également livré à un plaidoyer en faveur de l’unité culturelle de l’Europe, « de l’Atlantique jusqu’à l’Oural, voire jusqu’au Pacifique ». Les choses ont pris une autre tournure lorsque le chef de l’Etat a répondu à la question d’un représentant ukrainien à propos de la Crimée :

« La Crimée est une annexion, sans aucun doute. En même temps, la Crimée est un fait accompli. Que faire ? Eh bien, s’il y avait un dialogue entre l’Ukraine et la Russie, je pense, et c’est seulement mon point de vue personnel, qu’il pourrait y avoir des compensations en échange de la Crimée sous une forme financière ou en nature, c’est-à-dire avec du pétrole ou du gaz. C’est seulement ma proposition personnelle, rien de plus. Respectez le fait que nous essayons d’éviter une guerre européenne et que, dans le même temps, nous essayions de trouver des compensations pour l’Ukraine. »

C’est peu de dire que la proposition n’a pas plu du tout du côté de Kiev, où les médias ont évoqué une sortie « scandaleuse ». Après les propos de M. Zeman, une partie de la délégation ukrainienne a d’ailleurs quitté l’enceinte de l’Assemblée parlementaire en signe de protestation. Le chef de cette délégation, le journaliste Volodymyr Ariev, s’en est expliqué :

Volodymyr Ariev,  photo: ВО Свобода,  CC BY 3.0
« Quel dommage que le président d’un Etat ayant souffert d’une invasion soviétique dans les années 1960, exprime un tel manque de respect pour l’intégrité territoriale de l’Ukraine qui souffre maintenant aussi d’une invasion russe. Nous avions entendu que le président tchèque faisait parfois des déclarations excentriques. Aujourd’hui, nous en avons été témoins de nos propres yeux. Après les propos de Zeman selon lesquels il serait bon d’avoir des compensations pour la Crimée, notre délégation a pris la chose très négativement. »

S’exprimant à son tour à Strasbourg ce jeudi, le président ukrainien Petro Porochenko a vivement critiqué la position de Miloš Zeman, sans pour autant jamais le nommer. Pour le chef d’Etat, il est impensable de parler de « fait accompli » pour l’annexion de la Crimée et d’imaginer résoudre la crise par des compensations en argent ou en matière première. Du côté russe, les avis sont également partagés. Si l’on salue un discours qui revient à reconnaître l’annexion de la Crimée, on réfute l’idée qu’il faudrait en plus acheter ce territoire auprès des Ukrainiens.

En Tchéquie aussi, les réactions indignées n’ont pas tardé. Le Premier ministre Bohuslav Sobokta (ČSSD) a souligné que le point de vue du président était en complète opposition avec la politique étrangère de la République tchèque. Le chef de la diplomatie tchèque Lubomír Zaorálek (ČSSD), actuellement président du Comité des ministres du Conseil de l’Europe, a eu des mots similaires, de même que d’autres politiciens tchèques. A tel point que le porte-parole de M. Zeman, Jiří Ovčáček, a essayé de calmer le jeu, en insistant sur le fait qu’il ne s’agissait que de l’avis personnel d’un président qui n’aura pas manqué de susciter des vagues jusqu’aux tout derniers mois de son mandat.