Barborky et Lucie, deux traditions (presque) perdues du début de l'Avent

Lucky, photo: Archives de Radio Prague

Tous les enfants tchèques connaissent saint Nicolas, ce personnage légendaire qui leur rend visite le 5 décembre au soir, la veille de la fête éponyme, en compagnie d’un ange et d’un diable et leur offre des friandises. Ce que la plupart d'entre eux ne savent pas en revanche, c'est que jusqu’à la Première Guerre mondiale, les personnages traditionnels liés à la période de l’Avent étaient plus nombreux. Inspirées de l'histoire des martyres sainte Lucie et sainte Barbe, c’était les « Barborky » et les « Lucie » qui défilaient, respectivement les 4 et 13 décembre, dans les villages tchèques. Pourquoi étaient-elles habillées en blanc ? Et pourquoi les filles coupaient-elles de petites branches d’arbres fruitiers ? Voici les réponses.

Sainte Barbe,  photo: Irina Ručkina

Ce sont de ces histoires effrayantes à raconter au coin du feu. Les légendes de sainte Barbe la grande martyre et de sainte Lucie de Syracuse, que l'on célèbre dans la première moitié du mois de décembre, ont un point commun : les deux femmes sont mortes en raison de leur foi chrétienne, l'une condamnée par son propre père, l’autre martyrisée après s'être crevée les deux yeux pour échapper à un mariage avec un païen. Un peu partout dans le monde, les jours de fête de ces deux personnages s'accompagnent (ou s'accompagnaient autrefois) de nombreuses traditions populaires. Et il en est de même dans les pays tchèques.

Le 4 décembre, jour de la célébration de sainte Barbe - Barbora en tchèque, était considéré comme un jour magique. La légende raconte que sainte Barbe envoyait ses ambassadrices, appelées les « Barborky », un diminutif du prénom Barbora, qui descendaient sur Terre depusi le ciel à l’aide des cordes dorées et visitaient les maisons pour vérifier si les gens vivaient bien dans le respect des règles de Dieu.

Barborky,  photo: ČT

Pendant plusieurs siècles, ces « Barborky », représentées par des femmes habillées de blanc et déguisées en fantômes, défilaient donc dans les villages deux jours seulement avant l'arrivée de saint Nicolas. Elles incitaient les familles, et notamment les enfants, à vivre en conformité avec les vertus chrétiennes, à bien travailler et à obéir à leurs parents. Tandis que les enfants sages recevaient des pains d’épices et d’autres friandises, les enfants moins sages, eux, étaient punis et avaient droit à des coups de verges…

Photo: Pixabay,  CC0

Une autre tradition, toujours bien vivante un peu partout en Europe centrale, veut que les jeunes filles célibataires aillent couper, le 4 décembre, de petites branches d’arbres fruitiers, elles aussi appelées « barborky ». Celles-ci auraient le pouvoir de prédire l’avenir. La fille appelle en effet chaque branche du nom d'un garçon et les met ensuite dans un vase. La branche qui fleurit la première avant le 24 décembre, la veille de Noël, indique le nom de son futur époux. Aujourd'hui encore, de nombreuses Tchèques respectent cette tradition des « barborky ». Mais comment cela est-il possible ? Sociologue et écrivain, Jan Jandourek, a proposé, il y a quelques années de cela, une explication dans une émission de la Télévision tchèque:

« Les anciennes coutumes qui ont été conservées, y compris dans la tradition chrétienne, concernent le plus souvent les relations dans les couples et la fertilité, mais aussi la capacité à survivre dans une situation difficile. C’est le cas de ces ‘barborky’ qui fleurissent en décembre et vainquent ainsi symboliquement la mort. Cette victoire sur la mort est quelque chose qui est commun aux traditions païennes et au christianisme. Ce n’est donc pas un hasard que cette tradition ait survécu. »

Sainte Lucie

Un peu comme les « Barborky » le jour de la sainte Barbe, les « Lucie », appelées plus familièrement « Lucky » ou « Lůci », défilaient, elles aussi, dans les villages tchèque chaque 13 décembre. Si ailleurs dans le monde la sainte Lucie est notamment une fête de la lumière, dans les pays tchèques, cette tradition est beaucoup plus sombre. Bien que considérée comme une protectrice contre la sorcellerie, « Lucie » n’était pas un personnage tout à fait positif. L’historien de l’art, Jan Royt précise pourquoi :

Lucky

« Dans la majorité des cas, Lucie était incarnée par une grosse femme. Suite à cette tradition, on a donc commencé, dans certaines régions, à désigner les grosses personnes sous le nom de Lucie. Cette femme était habillée en blanc et portait une sorte de bec en tissu blanc. Et elle hantait les pensées des enfants. »

La tradition variait souvent d’une région à l’autre. En général, une ou plusieurs « Lucie » se rendaient, de même que des « Barborky », chez les habitants du village et contrôlaient si tout était bien en ordre dans les ménages. Leur déguisement blanc et leur bec symbolisaient donc la propreté, tant morale que celle de la maison. De plus, elles portaient avec elles un grand couteau et menaçaient les enfants de les éventrer s’ils ne respectaient pas le jeûne de Noël…

Lucky,  photo: Archives de Radio Prague

Les défilés de « Barborky » et de « Lucie » ont disparu de la plupart des villages tchèques avec la Première Guerre mondiale. Pourtant, ces dernières années, il existe une réelle volonté de faire revivre ces traditions pour ne pas qu'elles tombent définitivement dans l'oubli.

Lucky,  photo: Karolína Peřestá,  ČRo