Adieu, Monsieur Rossignol

Jiří Slavíček, photo: Karel Steiner
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« Génial ! » et « Terrifiant ! » : les deux mots préférés de Jiří Slavíček en français. Il faut dire qu’il était assez génial pour décrire le terrifiant, et ses phrases interminables faisaient le bonheur de ceux qui savaient les écouter. Décédé dans la nuit de jeudi à vendredi, il va beaucoup nous manquer, notre « Monsieur Rossignol » (slavíček signifie rossignol en tchèque), correspondant de Radio Prague à Paris, mais surtout pendant de longues années un des piliers du « bocal » de France Inter, où il a enchaîné des nuits de service dans la maison ronde de Radio France.

Jiří Slavíček,  photo: Karel Steiner
Proche de Pavel Tigrid, il fut aussi le correspondant de Radio Free Europe à Paris et sa voix était reconnue par de nombreux Tchèques. L’histoire veut même qu’un chauffeur de taxi praguois le ramenant chez lui au milieu de la nuit s’arrêta tout net en plein milieu de la conversation en reconnaissant le timbre inimitable de la voix d’« Adolf Bašta », son pseudonyme préféré.

Né en 1943 en Bohême, celui que les Tchèques définissent comme le "bonviván par excellence" (en tchèque dans le texte) avait quitté sa patrie en 1968, après l'écrasement du Printemps de Prague, « le 6 décembre à midi exactement », comme il aimait le préciser. Arrivé à Paris « à 15h03 », il a décidé de rester en France, plus de quarante ans, même s’il faisait régulièrement des séjours dans son quartier praguois préféré de Žižkov, depuis 1990.

Comme Jiří Slavíček était le champion incontesté de l’anecdote, le modeste hommage radiophonique que nous voulons lui rendre aujourd’hui sera la diffusion d’une de ses anecdotes sur la France :

« C’est le seul pays en Europe qui met sur le même piédestal deux hommes politiques d’Europe centrale, à savoir Dubček et Havel. J’ai eu la chance de rencontrer les deux. En 1990, j’ai eu le bonheur d’accompagner un communiste contre lequel j’ai toujours protesté, Alexander Dubček. On est passé à côté du Panthéon avant de prendre la rue Mouffetard. Il y avait un garçon de café grec, qui a enlevé son T-shirt, pris un stylo et a demandé à M. Dubček de le signer. Et d’un seul coup, attroupement dans la rue Mouffetard, avec des jeunes et des moins jeunes. Je ne sais pas si tout le monde l’a reconnu, mais en tout cas les gens de la fac de gauche de Censier ont essayé de se l’approprier. C’est vrai qu’en France on a joué toutes les pièces de Havel plus qu’ailleurs, mais je ne connais pas d’autre pays où les analyses savantes et moins savantes ont placé Dubček et la fin du ‘socialisme à visage humain’ vraiment très, très haut. Moi, je trouve terrifiant qu’il ait fallu quarante ans, et encore, pour se rendre compte du ridicule de la chose : quand il a dit qu’il fallait un socialisme à visage humain, il a reconnu que c’était un monstre… Pourquoi diable donner un visage humain à quelque chose d’invivable, de salaud, de meurtrier? Du coup, les Français sont les seuls à penser qu’il n’est pas responsable de ce fichu communisme-là. »

Nous avons en ce triste jour une pensée particulière pour les proches de Jiří Slavíček, et surtout pour ses deux filles. Une interview que ce "bonviván" avait accordée à Radio Prague à l’occasion du vingtième anniversaire de la révolution de velours sera également rediffusée dans notre émission samedi.