Télé réalité et triste réalité

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Diffusée dans 70 pays, la célèbre émission pour voyeurs invétérés, Big Brother, a connu sa première diffusion en République tchèque le 28 août dernier. Et comme la tendance est aux clônes, Prima avait fait la même chose quelques jours avant avec une émission reprenant le même concept. La guerre des chaînes privées est déclarée mais est-elle née ce mois-ci ? Depuis 1989, la télévision tchèque a parfaitement intégré les règles du libéralisme et, entre sitcoms et télé-réalité l'américaine, Nova et Prima se livrent une guerre dans les règles de l'art. Sauf qu'il n'y a pas de règles, pas d'art et que, comme partout dans l'UE, cela fait un malheur auprès d'un public dont on sait exciter la fibre voyeuriste.

"Jamais dans l'histoire de Prima une telle campagne médiatique n'a été organisée pour un programme". Milos Zahradnik, directeur des programmes de la chaîne de télé Prima, parle de son tout dernier produit : une version adaptée de Big Brother avec appartement clos et cobayes heureux de l'être. Ca s'appelle Vy Voleni (Vous les Elus), à ne surtout pas confondre avec Vy Volové, Vous les Boeufs !

L'histoire se corse quand Nova, grande concurrente de Prima, décide de sortir, presque au même moment, l'original, version tchèque, de Big Brother. La société hollandaise et détentrice des droits de l'émission, Endemol, accuse Prima de lui avoir volé son concept.

Les deux émissions ont été diffusées presque simultanément, celle de Prima le 14 août dernier et celle de Nova le 28 août. Elles ont ainsi créé un véritable scoop dont beaucoup de médias ont su tirer la manne. Résultat des premières courses : 2,16 millions de téléspectateurs pour Big Brother et 1.340 pour Vy Voleni. Au total, cela fait 3,5 millions de frères et d'élus, soit quand même un tiers de la population ! Un tiers du pays branché sur le tube cathodique... mais pas très catholique ! Car il s'agit de jouer sur la corde sensible : celle du voyeurisme. On espère des dérapages entre loftés, sexuels si possible. En Hollande, on va plus loin puisqu'il s'agit désormais de faire accoucher une participante sous l'oeil grand ouvert de Big Brother. Histoire de voir comme le bébé influera sur le groupe. Tous les moyens sont bons pour faire de l'audience et l'audience est au rendez-vous.

Le voyeurisme de base, c'est le concept même de ces deux émissions. C'est aussi un coup de génie et de cynisme qui a fait ses preuves un peu partout aux Etats-Unis et en Europe. La recette est implacable.

On exploite les points faibles du téléspectateur et on en tire le maximum. Personne ne semble s'en indigner en République tchèque et surtout pas Prima et Nova qui bâtissent de plus en plus leurs stratégies commerciales sur les reality-shows.

Big Brother,  photo: bigbrother.seznam.cz
Les deux émissions de Prima et Nova sont quasiment les mêmes. Entre autres points communs : le gagnant part avec un joli petit pactole, 10 millions sur Nova et 11 millions sur Prima. C'est de toute façon bien en espèces sonnantes et trébuchantes que se raconte l'histoire.

L'espace publicitaire tout d'abord. Depuis quelques temps, le temps de publicité autorisé sur les chaînes publiques est susceptible d'être réduit par décret ou par loi. Les vendeurs d'espace publicitaire sont donc bien obligés de réorienter leurs investissements vers les chaînes privées comme Prima et Nova. La première attire des diffuseurs visant un marché jeune et consommateur, comme BMW, les téléphones mobiles Nokia ou encore les produits esthétiques Wella. Les deux chaînes essaient de grapiller un maximum de miettes du gâteau. La durée de publicité autorisée, soit 12 minutes pour chaque émission, est bien sûr déjà vendue pour les deux émissions. La guerre de la publicité bat son plein et elle a pris un tour brutale après la réacquisition de Nova par le groupe américain CME. Nova est régulièrement accusée par Prima de pratiquer des prix publicitaires bas et non compétitifs.

Autre enjeu important : les produits dérivés des reality-shows et autres émissions globalisantes. Presse magazine, DVD, CD ROM, envois de SMS, c'est toute une industrie qui est ainsi drainée. Qui donc, à part les téléspectateurs, aurait intérêt à voir un tel phénomène s'arrêter.

Sans compter les sociétés de mesure d'audience, qui se sont imposés comme des acteurs économiques à part entière. C'est en 1997 que la société britannique Taylor Nelson a introduit ce type de prestations en République tchèque. Comme le souligne l'étude Télévision 97 : " l'industrie de la mesure de l'audience jouit d'une position d'influence considérable. C'est un facteur déterminant dans l'allocation des dépenses publicitaires, [l'élaboration] des grilles de programmes, l'achat de droits, etc. "

Big Brother et VyVoleni ne sont en fait que les petits derniers d'une série d'émissions clonées sur celles d'Occident. Citons également Cesko Hleda Superstar - La République tchèque recherche sa star, inspirée de Star Academy ou encore Qui veut gagner des millions ? Dans tous les cas, le succès est foudroyant.

Reprenons un instant le fil des événements pour comprendre l'évolution de la télé privée tchèque depuis 1989 vers un format tout marketing ou presque.

Au lendemain de la Révolution de Velours, la télévison tchèque se trouve, comme ailleurs en Europe centrale et orientale, face à une grave pénurie de financements à une ignorance totale des nouvelles règles commerciales.

Elle fait donc appel au savoir-faire et aux capitaux des chaînes occidentales. Dès 1990, la Sept/Arte et Canal + ont entrepris de fournir gratuitement des programmes aux télévisions publiques de l'ancien bloc de l'Est. Leur mot d'ordre : " L'Europe audiovisuelle ne doit pas devenir le monopole de Murdoch et de Berlusconi ". Mais durant les années 90, l'heure est au libéralisme total et la télé ne peut-être synonyme que de loisirs grand public. Pour l'heure, les Tchèques peuvent goûter aux joies des séries hollywodiennes comme Beverly Hills, autrichienne comme Rex ou française comme le commissaire Moulin !

C'est en République tchèque qu'est inaugurée, en février 1994, TV Nova, la première télévision privée hertzienne nationale - et légale - d'Europe centrale et orientale. A sa création, elle est contrôlée majoritairement par la société américaine Central European Media Enterprises (CME), fondée par l'industriel des cosmétiques Ronald Lauder. Mais un grave conflit opposera, en 1999, CME à son partenaire tchèque et la société américaine devra se dessaisir de la chaîne tchèque, moyennant compensation.

Une rupture qui symbolise bien l'indépendance prise par les chaînes privées tchèques depuis le milieu des années 90 par rapport aux programmes occidentaux. Emblématique est la production de sitcoms nationaux depuis quelques années. Indépendance par rapport aux programmes mais certainement pas par rapport aux concepts, comme le prouve Rodina Pouta, sur Prima, le Dallas tchèque !

Le nouveau filon des reality shows semble en tout cas avoir un grand avenir devant lui. Ironie du sort, de nombreux spécialistes des médias en République tchèque préconisaient, il y a quelques mois, qu'une émission comme Big Brother ne pourrait pas marcher dans le pays. Pourquoi ? Les Tchèques n'aiment pas être humiliés... La télé a ses raisons que la raison ne connaît pas !