Aéronautique tchèque : « Nous espérons retrouver le niveau que nous avions avant la crise d’ici un an ou deux »

Airbus A380

L’aéronautique tchèque a une histoire glorieuse qui remonte au tout début de l’aviation, dans les premières années du XXème siècle. L’industrie aéronautique tchécoslovaque s’est développée au fil du siècle pour acquérir une solide réputation, notamment dans le domaine militaire. Après la révolution de velours, la situation est devenue difficile mais l’aéronautique reste un secteur important de l’économie tchèque. Rencontre avec Jacques Averbuch, directeur financier et directeur général adjoint de la société Letov, spécialisée dans la fabrication de portes d’avion.

« Letov Letecka vyroba est une société tchèque qui appartient au groupe Latécoère qui l’a rachetée en 2001, qui fabrique actuellement des portes d’avion qui sont montées sur les avions des plus grands avionneurs mondiaux, tels que Airbus, Boeing, Ambraer et d’autres. »

La société Letov a été créée tout juste après la Première Guerre mondiale, donc sous la première république tchécoslovaque. Cela signifie-t-il qu’il y a une tradition de l’aéronautique dans les pays tchèques ?

Photo: Letov
« Oui, il y a une tradition aéronautique. Actuellement, le secteur aéronautique compte en République tchèque une cinquantaine d’entreprises et emploie un peu plus de 10 000 personnes. Il s’agit pour l’essentiel d’entreprises de taille moyenne ou petite. Parmi celles-ci, les deux plus notables sont Aero Vodochody et Letov, qui ont, par le passé, fabriqué des avions de chasse et qui avaient une taille respectable. »

Letov fabriquait donc plutôt de l’aéronautique militaire…

« Elle fabriquait de l’aéronautique militaire, notamment des pièces d’aéronautique militaire qui étaient assemblées par Aero Vodochody. »

Jacques Averbuch
C’est donc une société française importante dans le secteur aéronautique qui a racheté Letov il y a une dizaine d’années. Quel était l’intérêt de cette société de venir s’installer en République tchèque ?

« C’était une démarche classique de recherche d’amélioration de ses coûts de production et de ‘sourcing’ mondial. Je dirais que l’intérêt de la démarche se trouve dans le fait qu’elle a eu lieu relativement tôt par rapport à d’autres entreprises du secteur, et que le groupe a réussi à finaliser une acquisition qui lui a permis d’avoir un avantage concurrentiel important, lié bien sûr à l’avantage des coûts salariaux et de la compétitivité du pays. »

La société tchèque était-elle encore active quand le groupe français l’a rachetée ?

Photo: Letov
« Au moment du rachat, elle était encore active. Il est clair qu’au début des années 1990, après l’éclatement du bloc soviétique, l’activité de Letov s’est trouvée réduite quasiment à zéro. L’entreprise qui était importante à l’époque a vu ses revenus baisser de façon drastique et a été en quelque sorte démantelée pour être vendue. Le groupe Latécoère a pu racheter une partie de l’ancienne entreprise. A l’époque, l’entreprise comptait environ 150 personnes mais le groupe a investi, tant en moyens matériels qu’humains, et aujourd’hui, l’entreprise compte 530 salariés. Cela représente donc une belle augmentation sur la période concernée. »

Nous avons fait un tour des ateliers où sont les différentes chaînes de fabrication pour aboutir à ces portes qui sont utilisées sur différents modèles d’avions…

Airbus A380
« On produit des portes pour l’A320, ce qui représente l’essentiel de notre production. Le deuxième gros débouché sont les portes pour des avions régionaux d’Ambraer, un constructeur brésilien. Nous fabriquons également des portes pour des avions dont le programme est en démarrage, qui sont l’A380 et le dreamliner 787 de Boeing. »

On pourrait supposer que fabriquer des portes pour des avions revient à fabriquer un modèle et l’adapter à la taille de l’avion, mais je suppose que c’est plus compliqué que cela ?

Photo: Letov
« Bien sûr, c’est plus compliqué parce que d’abord, dans l’aéronautique, rien n’est simple. C’est un secteur d’activités qui a de grandes exigences en terme de qualité, de procédé de fabrication pour assurer la fiabilité à 100% de toutes les pièces embarquées dans un avion. C’est aussi un secteur ou bien évidemment les contraintes en terme de poids sont importantes, ce qui implique une recherche de gain de poids incessante et qui conduit à fabriquer des pièces d’une plus grande complexité technologique soit par la forme des pièces elles-mêmes, soit par le choix des matériaux employés. Enfin, dans les portes d’avions, pour assurer à la fois la fiabilité des portes qui ont des contraintes en termes de pression, de différences de températures et de nécessité de stabilité, on est obligé d’avoir des procédés de fabrication qui sont très rigoureux et très soigneusement contrôlés. »

Vous fabriquez ces portes pour différents modèles d’avion. J’imagine qu’à chaque nouveau modèle, c’est tout un procédé de fabrication qui est à repenser. Est-ce difficile de s’adapter aux exigences des constructeurs aéronautiques ?

Photo: Letov
« Ce qu’il faut savoir, c’est que le groupe réalise lui-même la conception des portes qui sont ensuite montées dans ses différentes usines et en particulier à Letov. C’est une des caractéristiques du domaine aéronautique où les relations entre les constructeurs et les fournisseurs se font sur le principe du « risk sharing ». Donc la réponse à la question est oui, c’est très complexe de développer de nouveaux produits, parce que les technologies employées dans les avions changent et s’améliorent constamment. On parle beaucoup du 787 actuellement pour ses emplois de composites. C’est une activité que nous avons développée à Letov et pour lequel Letov est le pôle d’excellence du groupe, parce que c’est le seul endroit où on fabrique du composite. Donc, l’usage de toutes ces nouvelles technologies nécessite une adaptation et un effort de recherche constant. »

Le secteur de l’aéronautique est un secteur sensible qui a connu récemment quelques déboires et a souffert des répercussions de la crise économique. Comment a été vécue en République tchèque, dans votre secteur, cette crise ?

Photo: Letov
« La crise a impacté de façon importante nos activités puisqu’elle nous a conduit à réduire de façon importante nos effectifs sur l’année 2009 et au début 2010. Et nous sommes ainsi passés de plus de 600 personnes à un effectif qui s’est établi à environ 500 personnes. Actuellement, nous avons atteint le point bas et nous sommes en train, petit à petit, de réembaucher et nous espérons retrouver le niveau que nous avions avant la crise d’ici un an ou deux. »


Rediffusion du 21-01-2011