Voir Prague autrement... comme la marionnette du film d'Emilie Boutillier

UMPRUM

La semaine dernière, je vous ai parlé du célèbre animateur tchèque, Jiri Trnka. Aujourd'hui, nous resterons dans l'univers des marionnettes, mais sans nous tourner, cette fois-ci, vers le passé. Au fait, savez-vous comment on réalise un film d'animation ? Un film tout simple, d'étudiant, avec une seule marionnette ? Emilie Boutillier qui vient de passer un séjour d'études à l'atelier d'animation de la UMPRUM, L'Ecole supérieure des Arts décoratifs de Prague, vous le dira.

Mais parfois, curieusement, le chemin vers la République tchèque mène par le Canada...

« Avant de faire mes études aux arts déco à Paris, j'ai fait deux ans à Montréal, dans une école de design graphique, où j'étais initiée à l'animation. Lors de ces cours, on visionnait des films de tous les pays et j'ai eu tout de suite une attirance particulière pour les films tchèques. Les premiers films qui ont retenu mon attention étaient ceux du cinéaste surréaliste Jan Svankmajer. J'ai vraiment été fascinée par son style d'animation, unique, parfois un peu sombre, mais cela était lié, je pense au contexte politique. Son langage métaphorique et fantastique, je l'ai trouvé très intéressant. Cela m'a paru être la base de l'animation. Ensuite, aux arts déco, on avait l'opportunité de partir en voyage, donc je n'ai pas hésité à partir à Prague. »

A la UMPRUM, les étudiants étrangers ont un statut particulier et ne suivent pas les mêmes cours que leurs collègues tchèques...

« On avait des sujets à part, qui traitaient de Prague. En gros, on avait le choix entre la carte non touristique de Prague et un autoportrait. J'ai choisi la carte, parce que j'avais envie de raconter mon voyage. Mon professeur était Jiri Barta, qui est un réalisateur assez connu et j'étais contente de le rencontrer. C'est un autre enseignement, j'ai eu beaucoup de liberté, j'ai pu essayer des techniques que j'appréciais mais que je n'avais pas suffisamment développées avant. En fait, j'ai animé une marionnette à Prague, dans la rue. J'ai essayé d'avoir le maximum d'images de Prague et de l'intégrer dans ce décor. A Prague, ce qui m'a sauté aux yeux, c'était ce côté parfait, presque faux, du centre-ville, avec toutes ces façades colorées... Je me sentais bien, mais presque comme dans un décor de cinéma géant. J'avais envie de retranscrire cette impression. Dans un premier temps, la marionnette est dans un faux décor que j'ai redessiné sur l'ordinateur, en 3D. C'est un décor circulaire, comme si elle était prise dans un manège, dans les chemins touristiques, dans cette société de consommation qui est quand même induite ici. Après, la marionnette sort de ce décor 3D et arrive dans une vie plus rythmique et plus ludique, dans la ville en fait. »

Tourner un film d'animation dans les rues d'une ville aussi bouillonnante que Prague n'est pas sans risque... Ecoutez comment ça peut se passer...

« Comme j'ai tourné dans un décor composé d'êtres humains, des gens passaient, s'arrêtaient dans mon champs de vision... Je me suis aussi souvent fait expulser de certains endroits (rires), parce que j'ai choisi des endroits très touristiques, le pont Charles par exemple. Parfois, des gardes venaient me voir en me disant que je ne pouvais pas rester-là... alors chaque fois, j'étais interrompue. Je revenais quelques jours plus tard, j'essayais de négocier. Même techniquement, j'ai travaillé avec de petits moyens, mais cela a capté quand même quelque chose d'assez authentique. Le fait que tous ces passants s'arrêtaient parfois, ça allait bien avec le discours que je tenais par rapport au tourisme, avec cette marionnette qui essaye de sortir des sentiers battus et vivre à son propre rythme. »

Si la République tchèque est considéré comme LE pays de la marionnette, c'est aussi parce qu'ici, les animateurs restent très attachés au travail plastique proprement dit, manuel, avec les héros de leurs films, tout en se servant des moyens techniques de haut niveau, presque incontournables à notre époque. Emilie Boutillier :

« Bien sûr qu'il y a des nouvelles technologies, l'ordinateur, la 3D, on s'en sert...Mais il y a aussi un rapport avec la matière qui est beaucoup plus personnel et c'est ça qui me plaît ici. Quand on prend le temps de préparer sa marionnette, de faire un décor, de découper les papiers, de les peindre, c'est nous-mêmes que l'on réinjecte dans le travail. C'est aussi ce que j'ai ressenti à l'école. Par le biais de l'école, j'allais régulièrement au Studio Barrandov, où l'on regardait les films de toutes les générations d'animateurs tchèques. On avait aussi des cours pratiques et théoriques de différentes techniques d'animation : papier découpé, marionnettes, semi-marionnettes, semi-papier découpé. »

Cela ne se fait pas en France ?

« Beaucoup moins. Ce qui me fait de la peine, c'est que l'animation de marionnettes va tendre à disparaître. C'est plus long et plus difficile, cela demande une certaine dextérité et habileté. Maintenant, on va avoir de plus en plus souvent recours à l'ordinateur. Il reste peut-être deux studios de marionnettes dans toute la France qui tournent en petites équipes. Même pour les stagiaires, il n'y a pas de place... Montréal, c'est encore différent. L'Office national des films du Québec est une mine d'or incroyable ! Il continue à produire régulièrement des films, à demander à de jeunes animateurs, même des amateurs à participer, il lance des concours et incite à la création. Il est vrai que les Canadiens se consacrent à tous les styles. Mais l'animation traditionnelle de marionnettes ne se fait vraiment qu'en République tchèque. »