Shakespeare savait déjà comment apprivoiser les femmes

'La Mégère apprivoisée', photo: Pavel Mára / AGENTURA SCHOK

‘La Mégère apprivoisée’ est une des premières comédies sorties de la plume de Shakespeare à la fin du XVIe siècle. Elle est également proposée dans le cadre du désormais traditionnel festival de théâtre en plein air « Les festivités d’été de Shakespeare ». Ouvert le 25 juin, le festival offre deux mois de spectacles à Prague, Brno, Ostrava et en Slovaquie.

'La Mégère apprivoisée',  photo: Pavel Mára / AGENTURA SCHOK
Shakespeare en République tchèque, ce n’est pas seulement l’œuvre de l’un des plus grands dramaturges de l’histoire. Le public tchèque a en effet la chance de disposer d’un traducteur royal de l’auteur anglais : Martin Hilský. Son statut de traducteur attitré de William Shakespeare, Martin Hilský, professeur de littérature anglaise, l’a mérité littéralement à la sueur de son front en traduisant, ces vingt-cinq dernières années, tous ses ouvrages. Fort logiquement, c’est donc de ces traductions régulièrement vantées pour leur grande qualité dont se servent les metteurs en scène des Festivités d’été. Néanmoins, en assistant à une pièce truffée de métaphores linguistiques modernes, de jeux de mots et d’argot de la jeune génération, plus d’un spectateur pourrait être tenté de consulter l’œuvre originale afin de confronter la modernité de la mise en scène et des dialogues avec le langage forcément plus obsolète de Shakespeare. Et là… Surprise ! Les deux versions sont en fait tout à fait identiques. Grâce à Martin Hilský. Cruciale selon le traducteur, la mise à jour du langage permet de préserver sa captivité tout en tenant compte de la place centrale que la langue occupe dans les pièces de Shakespeare :

Martin Hilský,  photo: David Vaughan
« Un texte de théâtre suppose que vous imaginiez sa mise en scène en le traduisant. Il était donc important pour moi de savoir qu’il y avait un minimum de coulisses à l’époque de la Renaissance. Les acteurs avaient des costumes extraordinaires, mais la pièce restait surtout un art de parler. Les conversations et les monologues intimes devaient construire tout l’univers de la pièce de Shakespeare. Les metteurs en scène les plus extravagants et les plus modernes ont compris cela et se bornent surtout à l’expression verbale. Actuellement, le style de la Renaissance est associé à une approche moderne des pièces de Shakespeare. »

La comédie ‘La Mégère apprivoisée’ est proposée depuis trois saisons dans le cadre des Festivités d’été. Outre un arrangement musical moderne et original, on retrouve dans cette adaptation certaines des caractéristiques incontournables des comédies de Shakespeare : une humeur brusque, des échanges d’identité (typiquement le servant qui remplace son maître), la ruse qui permet d’arriver à ses fins même au prix d’une petite tricherie, la belle fille entourée de plusieurs amants ou encore l’admiration explicite de l’abondance matérielle. Mais ‘La Mégère apprivoisée’, comme son titre l’indique, c’est également une histoire sur la façon d’apprivoiser une femme. Un sujet politiquement assez incorrect, surtout si on se limite à une lecture au premier plan, stratégie devant laquelle met en garde Roman Zach, alias Petruchio, principal personnage masculin de la pièce :

Roman Zach  (Petruchio) et Tatiana Vilhelmová  (Catherine),  photo: Viktor Kronbauer / AGENTURA SCHOK
« A mon sens, dans cette pièce, il s’agit surtout de trouver une vie de couple heureuse. J’avoue avoir déjà vu des adaptations dans lesquelles on se bornait à apprivoiser la femme, elles se sont limitées au titre de la pièce sans aller plus loin. Ce n’est pas l’interprétation que nous en faisons ici à Prague. Je considère que le couple central, Catherine et Petruchio, vit une rencontre extraordinaire, très rare dans la vie réelle. Si les gens n’ont souvent pas le courage de suivre leur amour, ces deux personnages le font. Mais ils ont un caractère sauvage, ils sont habitués à lutter pour obtenir des choses dans la vie. Ainsi, leur coexistence ne va pas de soi et ils commencent à lutter l’un contre l’autre. Moi, en tant que Petruchio, je conçois qu’il s’agissait un coup de foudre dès la première rencontre, je n’apprivoise pas une femme désobéissante. Après, c’est aux spectateurs qu’il appartient d’évaluer si notre interprétation leur paraît réussie. »

La question relative à la recette pour apprivoiser une femme s’imposait compte tenu, effectivement, du titre de la pièce. Pour Roman Zach, le message de la pièce peut s’appliquer à la vie de tous les jours en partant du principe qu’il ne s’agit pas tant de briser un caractère que d’avoir le courage d’entreprendre une action. Catherine n’est donc pas une femme prête à se soumettre et à être soumise :

'La Mégère apprivoisée',  photo: Viktor Kronbauer / AGENTURA SCHOK
« Catherine n’est pas méchante, elle est surtout malheureuse, elle n’est pas contente d’elle, elle n’est pas bien équilibrée. Pour cela, elle tape autour d’elle et cherche un partenaire fort qui pourrait la supporter. Petruchio en est le premier capable. La recette applicable à cette situation comme à la vie réelle est surtout de ne pas avoir peur des complications, d’être réactif et prêt quand une occasion se présente. Ce qui est crucial, primordial, c’est l’envie d’être avec l’autre. Sans cela, toutes ces péripéties n’auraient pas de sens. En conséquence de quoi, l’apprivoisement représente un processus qui leur plaît. »

Comme le titre de la pièce le suggère également, ‘La Mégère apprivoisée’ peut aller à l’encontre de la volonté d’émancipation des femmes en renvoyant aux stéréotypes de la soumission du « second sexe ». Roman Zach reconnaît qu’une partie du public réagit souvent avec répulsion au ton sérieux avec lequel Catherine appelle les femmes à obéir à leurs maris :

'La Mégère apprivoisée',  photo: Viktor Kronbauer / AGENTURA SCHOK
« A première vue, il s’agit bien d’une pièce politiquement incorrecte au XXIe siècle. Certains spectateurs sont déçus de voir que Catherine prononce son discours final sur un ton sérieux. Ils nous demandent pourquoi nous n’avons pas ironisé ses propos. Je leur réponds que c’est parce que cette manière de jouer nous plaît, il s’agit d’un divertissement pour l’été et c’est comme ça que Shakespeare l’a écrit : ‘Mesdames, obéissez à vos maris !’ »

On entend parfois des remarques selon lesquelles les Festivités d’été de Shakespeare se sont adaptées à la culture de masse et à un public qui ne se rend que rarement au théâtre. Nous avons demandé à Roman Zach de donner son avis sur le public de ‘La Mégère apprivoisée’ :

'La Mégère apprivoisée',  photo: Viktor Kronbauer / AGENTURA SCHOK
« Il y a de tout dans le public. Il y a bien sûr parfois au premier rang les hommes d’affaires qui secouent les coudes de leurs compagnes blondes en leur disant : ‘tiens, tu vois, Shakespeare savait déjà ce qu’il faut faire.’ J’imagine qu’ils vivent de ce spectacle encore pendant des semaines en rappelant leur supériorité à chaque occasion. Mais je ne pense pas que ce profil d’hommes soit majoritaire dans le public. Une majorité assiste à une pièce de théâtre en plein air une fois par an. Ils consacrent leur journée à la visite du zoo ou au shopping, et viennent voir notre pièce le soir. Ce sont des gens pour qui c’est une occasion festive et ils veulent surtout s’amuser. C’est d’abord pour eux que la mise en scène et les blagues ont été pensées. Ceci dit, quand il y a trop de machos dans le public qui en profitent pour dire ‘pas d’égalité hommes-femmes, apporte-moi ceci ou cela’, je me sens mal à l’aise. »

'Les deux gentilshommes de Vérone',  photo: Agnetura Jay production
Les Festivités d’été de Shakespeare ont été créées sous l’impulsion du président Václav Havel au début des années 1990. Depuis 1998, elles se tiennent régulièrement. Cette année, plus d’une trentaine de reprises ont déjà été jouées. L’équipe organisatrice a également introduit une nouveauté, la pièce tchéco-slovaque ‘Les deux gentilshommes de Vérone’. On y retrouve Lukáš Vaculík et Zuzana Norrisová comme personnages principaux accompagnés par un groupe de musique en concert. Les spectateurs peuvent voir cette pièce uniquement lors de trois représentations à Prague, et ce du 29 au 31 juillet. Les spectateurs peuvent également admirer toute une série d’adaptations, parmi lesquelles ‘Richard III, ‘Le Songe d'une nuit d'été’, ‘Les Joyeuses Commères de Windsor’ ou ‘Les Peines d'amour perdues’.