Potiche, manifeste féministe

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Dans le cadre du 13e Festival du Film Français, le film Potiche, de François Ozon a été présenté en avant-première tchèque lors de la soirée d’inauguration de jeudi. Dans les rôles titres : Catherine Deneuve, Gérard Depardieu, Fabrice Luchini, Judith Godrèche, Karin Viard et Jérémie Rénier. Potiche, ou l’histoire de l’émancipation d’une femme rangée en une femme d’affaires qui finira en politique, est résolument un manifeste féministe. Tiré à l’origine d’une pièce de théâtre, Radio Prague a demandé à François Ozon comment s’était passé l’adaptation au cinéma.

Judith Godrèche et François Ozon,  photo: CTK
« Quand j’ai découvert la pièce, j’ai trouvé que c’était un rôle de femme incroyable, très fort, très amusant. J’ai tout de suite eu envie de le faire en film et j’ai mis beaucoup de temps pour savoir comment j’allais l’adapter. Est-ce que je le mettais de nos jours, est-ce que je le laissais dans les années 1980 ? Le déclic pour l’adaptation a été la dernière campagne de la présidentielle en France qui a opposé Nicolas Sarkozy et Ségolène Royal, où j’ai trouvé qu’il y avait eu un vent de misogynie et de machisme incroyable. J’ai relu la pièce à l’aune de cela. Je l’ai adaptée en ayant un peu cette campagne en tête. Et plutôt que de le mettre aujourd’hui et que ce soit trop proche de la réalité, j’ai décidé de le mettre dans les années 1970 qui ressemble beaucoup à notre époque : c’est une période de crise, c’est Giscar, un président de droite, il y a beaucoup de chômage, des séquestrations de patrons. Je me suis dit que c’était un moyen de parler d’aujourd’hui de manière indirecte. J’ai adapté la pièce à cette époque : je l’ai beaucoup aérée, coupée, et j’ai surtout rajouté la dernière partie du film. Dans la pièce, Robert Pujol revient dans l’usine et constate que sa femme a pris le pouvoir. Moi j’ai eu l’idée d’un troisième acte avec Suzanne Pujol qui se lance dans la politique. C’était une manière de rendre ça plus contemporain et de parler plus de la condition de la femme, de faire un film presque féministe. »

C’est un vrai manifeste féministe. A propos des années 1970 : le fait d’avoir choisi d’adapter la pièce à cette époque vous permet de beaucoup styliser, on a l’impression que vous vous êtes vraiment amusé à recréer les seventies. Souvent ça fait même penser aux séries américaines de ces années-là...

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« J’ai vraiment voulu retrouver les années 1970 de mon enfance, telles que je les ai vécues avec des yeux d’enfant : avec des coiffures trop grosses, trop de cheveux, avec toutes les influences de l’époque commes les séries télé. J’ai pensé à la coiffure de Farah Fawcett pour la coiffure de Judith Godrèche. J’ai pensé à Jacques Demy pour l’usine de parapluies, même si plus les années 1960. Je n’ai pas eu envie de faire réaliste. Ce que je trouve intéressant quand on fait un film historique c’est de partir de la réalité, des documents, et ensuite choisir ce qui nous intéresse et styliser au maximum. Il faut qu’il y ait un aspect ludique de la reconstitution. »

Finalement était-ce un moyen de garder l’aspect théâtral ?

« Oui, peut-être. J’aime beaucoup la théâtralité au cinéma. Je sais qu’il y a des cinéastes qui recherchent à tout prix le réalisme. Pour moi, c’est important d’assumer que c’est un spectacle, que c’est une re-création. Le plaisir du spectateur vient de cela aussi. »

Vous disiez que la campagne qui a opposé Nicolas Sarkozy à Ségolène Royal qui vous a inspirée. Il y a énormément de références à Nicolas Sarkozy dans le film : le fameux ‘casse-toi pauv’con’ ou ‘travailler plus pour gagner plus’. Vous faites constamment des allers-retours entre aujourd’hui et les années 70...

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« Ce qui est intéressant, c’est que ces anachronismes de dialogue rentrent complètement dans les dialogues de l’époque. Pour des étrangers, quand ils vont entendre Luchini ‘travailler plus pour gagner plus’, ils ne vont pas se poser la question, car ils ne connaissent pas la référence. Dans dix ans en France, ce sera peut-être le cas aussi. Mais c’est vrai qu’aujourd’hui, je ne m’attendais pas que ces deux petites phrases que j’ai récupérées fassent autant de bruit ! C’est une sorte de clin d’oeil mais je ne pensais pas que les gens allaient autant l’interpréter et y donner du sens. Pour moi c’était juste un jeu, car ce sont des phrases qui sont rentrées dans le langage courant. Les gamins qui se tapent dessus à l’école, ils disent ‘casse-toi pauv’con’ car l’exemple vient du plus haut, du président de la république lui-même. »

Il y a aussi la référence à Ségolène Royal. A la fin, Catherine Deneuve s’adresse à ses militants en tailleur blanc comme l’avait fait Ségolène Royal...

« On n’y avait pas du tout pensé ! Quand elle dit aussi : ‘je veux être votre maman’, c’était dans la pièce. Certes elle le disait aux ouvriers, et pas aux électeurs. C’est un dialogue que j’ai déplacé. »

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C’est intéressant que ça se passe à ce moment-là...

« C’est cela qui est intéressant au cinéma : à un moment donné, le film vous échappe, les gens l’interprètent. Parfois c’est effrayant : ils voient des choses qu’on n’a pas voulu mettre dans le film. C’est amusant de voir l’interprétation des spectateurs et comment ils se sont projetés dans le film. »

Il y a déjà eu 1 500 000 entrées en France en à peine deux semaines d’exploitation. Est-ce vous pensez que votre film tombe justement à une période propice ?

« On a été très gâtés. Il y a eu beaucoup de grèves dernièrement... Le film est tombé juste après que les grèves soient finies, les gens ont donc pu aller au cinéma. Le succès du film vient en partie de la grisaille et de la morosité sociale qu’il y a en France à l’heure actuelle. Les gens ont envie de rire, de s’amuser, d’être détendus tout en riant de sujets qui les concerne directement. Pour la place de la femme dans la société française, il y a toujours beaucoup de luttes à mener. Qu’il s’agisse des salaires, des retraites. Certaines personnes veulent remettre en cause l’IVG... Et puis dans le monde aussi : quand on voit la condition de la femme au Moyen Orient, dans d’autres pays d’Europe... Ca a été ça la grande surprise quand on a commencé à présenter le film à l’étranger, notamment à Venise, c’est qu’on s’est rendu compte que ce n’était pas une histoire franco-française, qu’il y avait un thème universel : l’humiliation, la position de la femme et que son émancipation était un thème qui pouvait parler à tout le monde. »

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Vous avez un casting assez incroyable. Catherine Deneuve et Gérard Depardieu ensemble, c’était un rêve ?

« En tant que réalisateur, c’était un rêve de réunir Catherine et Gérard. Ce sont deux acteurs que j’adore, qui représentent vraiment le cinéma français depuis 30 ans. Ils ont déjà fait six films ensemble, là c’est le septième. C’est un plaisir de les voir ensemble car il y a une espèce de chimie qui fonctionne très bien. En tournant la scène du Badaboum, où ils dansent tous deux dans la boîte de nuit, je me suis rendu compte qu’il y avait presque quelque chose d’intime avec nous, Français. Comme on les a vu vieillir pendant trente ans, c’est comme si c’était quelqu’un de la famille. Il y a quelque chose d’émouvant de les voir danser en boîte de nuit. »

Et puis ils s’embrassent quand même !

« Bien sûr, il y a un baiser. Il faut toujours un baiser dans ces cas-là. »

Judith Godrèche,  photo: CTK
Après François Ozon, on passe à l’actrice Judith Godrèche. En seulement deux semaines d’exploitation en France, le film remporte déjà un succès assez inattendu :

« A Paris on me parle beaucoup du film parce qu’il y a déjà eu 1 500 000 spectateurs qui l’ont vu. Les gens sont très contents. J’ai l’impression que c’est un film qui rend vraiment les gens enthousiastes, qui les met de bonne humeur. Il y a un mélange de réjouissance, ils se sentent concernés parce que ça leur rappelle des souvenirs. Ce qui est drôle c’est qu’il plaît beaucoup aux jeunes adolescents. Des amis de mon fils, qui a onze ans, ont été voir le film. C’est rare qu’un film plaise à la fois autant au public et aux critiques. »

Puisque vous dites que c’est un film qui met de bonne humeur, vous pensez qu’il tombe à un moment où le public français en a besoin ?

« Je pense qu’on en a toujours besoin de toutes façons. Il se trouve qu’en France, les comédies sont les films les plus faciles à monter financièrement. Je trouve qu’on sort de ce film avec une envie de vivre, de vivre sa vie et de trouver sa voie. »

Pourriez-vous nous rappeler votre rôle dans Potiche ?

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« Je joue le rôle de la fille de Catherine Deneuve, la fille de Suzanne Pujol. Mon personnage se veut donneuse de leçons, elle se pense très libre, elle pense qu’elle est en avance sur son temps, elle donne des leçons à sa mère et la traite de potiche. On se rend compte qu’elle est en fait beaucoup plus coincée et enfermée dans sa vie de couple, alors qu’elle est insatisfaite. Elle n’est pas dans l’émancipation et on a l’impression qu’elle ne va jamais s’en sortir. C’est assez drôle car les rôles finissent par s’inverser. »

Finalement c’est peut-être votre personnage qui est la vraie potiche du film...

« En tout cas on peut se dire cela à la fin du film. »

C’est un film très féministe, c’est cela aussi qui vous a donné envie de tourner ce film ?

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« Non. Je me suis rendu compte de cet aspect-là encore plus en voyant le film aujourd’hui. Je pense qu’on ne refuse pas de tourner avec François Ozon, c’est un réalisateur avec qui tout le monde veut tourner. C’est plus pour les metteurs en scène que je fais des films que pour des scénarios. Je pourrais suivre un metteur en scène que j’aime sans scénario et je ne pourrais pas aller sur le scénario d’un metteur en scène que je n’aime pas. »

Qu’est-ce qui vous plaît dans la manière de diriger de François Ozon ?

« C’est surtout dans son cinéma, dans ses choix, c’est quelqu’un qui a une très grande liberté. C’est aussi pour cela qu’il aime parler de femmes qui s’émancipent parce qu’il a une façon d’aborder son cinéma avec beaucoup d’insolence. Il passe d’un film à l’autre dans des univers très différents. Il n’a pas un style attitré. »

Le film sort en salles en République tchèque le 23 décembre.