Olbram Zoubek, auteur du masque mortuaire de Jan Palach

Photo: Miroslav Krupička

Il est connu pour avoir créé le monument pragois en hommage aux victimes du régime communiste, dont les personnages perdent les morceaux de leurs corps comme s’ils perdaient leur identité. Il est plus connu encore pour avoir moulé le masque mortuaire d’une de ces victimes du régime totalitaire, l’étudiant Jan Palach, la première torche vivante du bloc soviétique. Connu aussi pour ses belles statues longilignes, parfois comparées à celles d’Alberto Giacometti, le grand sculpteur tchèque Olbram Zoubek est décédé le 15 juin dernier à l’âge de 91 ans. Retour, dans cette émission, sur sa vie et sur la portée de son œuvre.

Photo: Miroslav Krupička
« Je veux que mes statues soient pleines de vie. Elles sont créées pour être exposées à la pluie, au gel et au vent », disait Olbram Zoubek, l’artiste qui aimait se présenter en tant qu’artisan. Né en avril 1926, il travaillait, pendant la Deuxième Guerre mondiale, comme ouvrier dans une usine de fabrication de lingerie féminine et de masques à gaz située à Prague-Letná. Durant la guerre, Olbram Zoubek créée sa première statue, L’Accordéoniste, qu’il choisira d’ailleurs de montrer au public lors d’une importante rétrospective de son œuvre organisée en 2013 au Château de Prague.

Après la guerre, Olbram Zoubek tente d’entrer à l’Ecole des Beaux-Arts de Prague, mais il n’est pas accepté. Il se consacre alors à la gravure sur pierre, avant d’être formé au sein de l’Ecole supérieure des Arts et des Métiers. Dans les années 1950, l’artiste-artisan gagne sa vie en tant que restaurateur de statues baroques et de monuments historiques, activité qu’il exercera aussi un peu plus tard, dans la période de normalisation et jusqu’à la Révolution de velours, lorsqu’il lui sera interdit d’exposer.

Photo: Miroslav Krupička
« Quand on dit ‘une sculpture’, à quoi pensez-vous ? A un personnage. A un être qui s’oppose à la gravitation », a remarqué Olbram Zoubek, auteur de sculptures de femmes et d’hommes à l’apparence fragile et aux silhouettes longilignes qui font penser aux œuvres d’Alberto Giacometti. Minces et grandes, dépassant la taille humaine, ces sculptures sont souvent en mouvement, les mains dirigées vers le ciel. Dans une interview, l’artiste a expliqué : « Mes sculptures sont en état d’apesanteur. Elles tombent, planent dans l’air, certaines d’entre elles se tiennent sur la pointe des pieds, d’autres marchent sur les épines. J’aime cette tension entre ce qui est inconciliable. J’aime le désir de l’homme de braver la gravité. »

En sculptant, Olbram Zoubek aimait assembler l’ordinaire et le précieux, l’éternel, en utilisant deux matériaux très différents : le ciment et l’or. « Je suis un plasticien de mon époque et en même temps, je me considère comme un traditionniste. Je fais des sculptures comme elles se font depuis toujours. Dans toutes les époques, elles sont colorées », a-t-il expliqué son penchant pour la polychromie.

Photo: Miroslav Krupička
Dans les années 1950-1960, Olbram Zoubek devient un artiste reconnu. Il participe à des expositions collectives d’artistes pragois, voyage enGrèce qui devient une de ses grandes sources d’inspiration et crée un terrain de jeux au Parc des expositions de la capitale. L’année 1969 représente un tournant dans sa vie et dans sa carrière. Etudiant de la Faculté des lettres de l’Université Charles de Prague, Jan Palach s’immole par le feu, le 16 janvier, sur la place Venceslas. Il a voulu faire prendre conscience aux Tchécoslovaques qu’ils devenaient indifférents après six mois d’occupation russe de la Tchécoslovaquie, envahie en août 1968. Trois jours après avoir commis cet acte choquant, Jan Palach succombe à ses blessures. Sur le site janpalach.cz, un projet multimédia de l’Université Charles, on peut lire le souvenir d’Olbram Zoubek de la journée du 19 janvier 1969 :

« Je me suis dit qu’il fallait que je fasse quelque chose. Il m’est venu à l’esprit que je pouvais utiliser ce que je savais faire. J’ai contacté mon ami Vladimír Matějíček qui travaillait au service des grands brûlés. Il m’a permis d'accéder à la salle de dissection de la médecine légale. J’ai fait deux moules pour être sûr du résultat. Puis nous sommes partis dans mon atelier et j’ai fait un masque à partir du moule. Je l’ai placé sur une plaque noire et je l’ai emporté au Musée national où les étudiants menaient une grève de la faim en soutien aux demandes de Jan Palach. J’y ai probablement rencontré Jan Zajíc, qui était parmi les jeunes gens, mais je ne savais pas que c’était lui. »

Le prêtre Tomáš Halík a ensuite emporté le masque dans l’église Saint-Thomas de Malá Strana pour la messe des morts. Pendant quelque temps, il a aussi été déposé devant l’escalier principal de la Faculté des lettres de Prague. Entre-temps, Olbram Zoubek créé le monument funéraire de Jan Palach au cimetière d’Olšany, ainsi que celui de la deuxième torche vivante tchécoslovaque, le jeune Jan Zajíc, mort en février 1969.

Interpellé à plusieurs reprises par la police communiste, Olbram Zoubek est finalement interdit d’exposition et exclu de la vie artistique officielle pendant une vingtaine d’années. Jusqu’à la chute du Rideau de fer, il se consacre à la restauration de la décoration en sgraffites du château de Litomyšl, en Bohême de l’Est, dont les caves abritent aujourd’hui une exposition permanente de son œuvre.

Après la Révolution de velours, Olbram Zoubek devient un artiste apprécié et recherché. Ses sculptures décorent l’espace public dans plusieurs coins du pays et le président Vaclav Havel choisit de placer une d’entre elles, la merveilleuse Iphigénie, dans son bureau au Château de Prague. Celui qui, en 1969, a senti « qu’il fallait faire quelque chose » crée le monument en hommage à Milada Horáková, l’unique femme condamnée à mort dans un procès politique en Tchécoslovaquie communiste. C’est au pied de la colline de Petřín qu’Olbram Zoubek décide de placer, sur plusieurs marches, les uns derrières les autres, ses célèbres personnages qui incarnent toutes les victimes du totalitarisme, les morts, les emprisonnés, les persécutés et les émigrés. Les figures qui disparaissent sous nos yeux, car elles perdent, l’une après l’autre, les parties de leurs corps, comme si elles perdaient leur identité.

Photo: Khalil Baalbaki
En 1990, Olbram Zoubek crée, à partir du moule en plâtre, une copie métallique du masque mortuaire de Jan Palach. Placé sur le bâtiment de la Faculté des lettres de Prague, située sur la place qui porte le nom de l’étudiant tchèque, elle devient, chaque année, le 16 janvier, un lieu de souvenir et de commémoration.

La toute dernière œuvre d’Olbram Zoubek, achevée il y a quelques mois de cela, a été inaugurée en février dernier, en présence de l’auteur, dans la sacristie d’une petite église de campagne, située dans le village de Zahrádka, dans la région de Vysočina. Elle représente le prêtre Josef Toufar, torturé à mort par la police communiste à l’hiver 1950. Une fois de plus, le sculpteur a fait preuve d’un engagement citoyen plutôt rare dans le milieu artistique tchèque, en indiquant qu’il avait créé la statue d’abord pour lui-même, étant bouleversé par le destin du prêtre révélé récemment dans les livres du journaliste Miloš Doležal.

Pour découvrir l’œuvre d’Olbram Zoubek, rendez-vous à Litomyšl. Ses sculptures se trouvent dans les caves et dans les jardins du château.