Miloslav Moucha : « La peinture peut exprimer d'un seul coup ce que la littérature doit expliquer » (I)

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Cette semaine, je vous propose d'aller à la rencontre d'un peintre français d'origine tchèque. Miloslav Moucha. Vous aurez l'occasion de découvrir la première partie de l'entretien que j'ai eu avec lui. Sa naissance en 1942 dans la région des Sudètes a eu quelque chose de déterminant, dans le processus de maturation du jeune homme dans les années 1960, par le destin historique de cette région après guerre, mais aussi par les personnalités de la culture tchèque que Moucha y a rencontré. J'ai rencontré Miloslav Moucha à l'occasion de l'inauguration de son exposition à la galerie kai de kai à Prague où une partie de ses oeuvres sont à voir jusqu'au 7 décembre.

Miloslav Moucha, bonjour, vous venez de publier un récit autobiographique en tchèque, Mala Kniha, le Petit livre, en français, aux éditions Dauphin, il y a quelques mois. Dès la première page vous expliquez pourquoi vous l'avez publié, en tout cas écrit. Pouvez-vous nous en rappeler les raisons ?

« Ce texte était destiné au départ pour une monographie sur ma peinture. D'ordinaire les historiens et les critiques d'art font ce travail quand le peintre est mort. Tout le monde est content parce qu'on rassemble quelques documents et ont fait un roman. Etant vivant, je me suis dit : je vais le faire tout seul, avec tout ce que je sais et que personne ne pourra savoir après. Donc j'ai commencé à faire ce texte pour ce grand livre. Après la sortie de la monographie je me suis aperçu que beaucoup de monde avait lu les textes, qu'ils se prêtaient le livre car celui-ci était cher... Au bout d'un certain temps, je me suis dit que cela pourrait être intéressant, si ça intéressait les gens, de faire un petit livre, avec les textes que j'ai écrits depuis les années 70. Quand les éditions Dauphin ont vu le texte, ils m'ont proposé de le publier. Cela a pris 15 ans mais on a fini par le faire. »

Si je comprends bien, vous n'aviez pas trop envie qu'on brode sur votre parcours et votre vie ?

« Vous savez bien qu'on fait des mythes. Chacun a le sien. Moi je préfère faire savoir quel est le mien, parce que je le connais mieux que celui qui va en fabriquer un. »

On va revenir un peu en arrière. Vous êtes né le 25 mars 1942, au pied des Monts Métallifères, Krusne hory en tchèque. A Dolni Litvinov. Est-ce une région qui vous touche toujours, est-ce une région qui vous inspire ?

« C'est une région qui a été complètement abandonnée, comme on le sait. Les Allemands ont été déplacés en Allemagne. La population a énormément diminué. Des gens se sont installés là, parce qu'ils ont reçu de l'argent. Ce qui fait que cette région a complètement perdu son identité : c'est les Allemands, surtout, qui ont donné leur caractère aux montagnes. Après leur départ, la montagne s'est retrouvée abandonnée. Moi j'ai vécu petit garçon dans cette région. J'ai des souvenirs qu'on ne peut pas raconter, car ce sont des sentiments très bizarres. J'ai encore vu des maisons à la campagne, dans les montagnes, où c'était ouvert, où on entrait et sur la table il y avait une nappe, des tasses de café, mais c'était abandonné. Il y avait des chapelles qui étaient totalement détruites par des gosses comme moi. On démontait des orgues pour en faire des sifflets. Il y avait des cimetières abandonnés, c'était très curieux, déjà pour des enfants, et quand j'y pense maintenant, c'est comme un monde qui n'existe plus. Je ne peux pas dire que ça m'inspire, mais je crois qu'en effet, ça a formé une certaine sensibilité. »

Quand vous parliez de ces maisons avec les tasses de café sur les tables, c'est donc un peu comme si les personnes venaient juste de partir, comme si ça s'était arrêté dans le temps...

« Oui, exactement. On dirait aujourd'hui que c'est « surréaliste ». Vous voyez un intérieur soigné, on voit que des gens y ont vécu, il y a de la poussière, de la paille, une fenêtre cassée, mais encore une nappe et une tasse remplie de café. »

Vous écrivez que vous avez découvert l'art un peu par hasard, au retour d'une permission du service militaire...

« Ce n'est pas aussi simple. Je dessinais quand j'étais petit. Je peignais. Mais je ne pensais pas que ce serait quelque chose que j'allais poursuivre. Je pensais par contre que je serai écrivain. Quand j'ai vu cette représentation de Van Gogh, j'ai été complètement ébloui. Je me suis dit qu'avec ce moyen-là, avec la peinture, on peut exprimer d'un seul coup ce qu'avec la littérature, on doit développer et expliquer. Peut-être que la poésie fonctionne comme ça, mais je n'ai jamais pu écrire un vers, même quand on a quinze ans et qu'on est amoureux. »

La peinture a donc, pour vous, un côté synthétique ?

« Si on veut, ça se regarde d'un coup. Cela se fait dans le temps, mais ça se « consomme » instantanément. On est devant un événement. Il faut que celui qui est devant soit surpris. On peut être surpris comme spectateur uniquement si celui qui l'a fait est surpris lui-même. C'est ça qui m'intéresse. »

Dans les années soixante, vous êtes entouré de personnalités de la culture tchèque très importantes. Vous côtoyez Jan Zabrana, Ivan Divis et d'autres. Vous avez donc connu de grandes personnalités importantes pour l'art tchèque...

« Ça, c'est grâce au communisme. Tout le monde sait que les intellectuels de ce calibre-là étaient très souvent envoyés pour travailler dans les usines, dans les mines, sur les ponts, et la région où j'ai vécu était une région dure. Donc, les persona non grata étaient envoyées là-bas. C'était le cas de mon maître Josef Jedlicka qui a été parachuté dans cette région avec sa femme, et autour de cette famille se réunissaient des amis, comme Divis, comme Zabrana et d'autres. C'est comme ça que j'ai fait mon éducation intellectuelle et artistique. C'était vraiment grâce au communisme. C'est paradoxal, mais c'est comme ça. »

Vous êtes parti de Tchécoslovaquie en 1969, je suppose que ça a dû être dur aussi de quitter ce monde-là... Vous dites que votre départ a été très dur, que vous avez quitté le pays par peur des persécutions et sans grand enthousiasme.

« Pendant le printemps 1968, nous avons fait de la politique pendant trois mois. Il n'y avait plus de censure, donc on pouvait écrire dans les journaux librement. Jedlicka qui était le chef de file de notre groupe à Litvinov n'a pas tardé à se prononcer. Et quand les armées du Pacte de Varsovie sont arrivées en Tchécoslovaquie, certaines personnes ont reçu des recommandations, pour partir, car on ne savait pas trop ce qui allait se passer. Est-ce qu'il y aurait la guerre ? Est-ce que les gens allaient être enfermés ? Est-ce que la persécution serait globale ? Je suis parti, Jedlicka est parti, Divis est resté, ainsi que d'autres personnes. Je pensais que j'allais revenir, j'attendais de voir ce qui allait se passer. Il ne se passait pas grand-chose, donc je suis revenu au pays, au début de l'année 1969, à Pâques, et c'est là que ça a commencé à être dur. Je suis donc reparti en sachant que ce serait au moins pour dix ans. En fait je suis parti pour 23 ans. »


Pour finir, un extrait de ses écrits qui révèlent un peu de son rapport à la peinture et au monde qui l'entoure... Si Miloslav Moucha parle peu de ses tableaux, car il estime que les mots sont inutiles, ses réflexions et ses observations en disent plus que la simple description d'une toile :

« Par une soirée pluvieuse, je me promenais à la périphérie de la ville. Dans la couronne d'un jeune châtaigner je vis scintiller des cercles concentriques. Un lampadaire était allumé derrière l'arbre, et la lumière était captée par les gouttes de pluie tombées sur les branches. Comme tout écolier, je connaissais et pouvais expliquer ce phénomène physique, mais je ne pouvais, en cet instant, m'empêcher d'éprouver une sensation de miracle. La géométrie est la naissance du monde et à travers elle, nous pouvons en comprendre la conception. Je ne vois pas le paysage comme un peintre, je sens la nature, je vois le détail. »

Retrouvez la deuxième partie de cet entretien dès la semaine prochaine.