Messe de Noël de Jakub Jan Ryba

La place de la Vieille-Ville à Prague

Joyeux Noël, chers auditeurs ! Pour les Tchèques, la journée du 24 décembre, qu'ils appellent « généreuse », est la plus belle, peut-être, de toute l'année. Le soir venu, les familles se rassemblent autour de la table, pour le Réveillon, et mangent le repas de Noël traditionnel : de la soupe au poisson, de la carpe et de la salade de pommes de terre. Après le dîner, on déballe les cadeaux que le petit Jésus, comme l'on dit aux enfants, a apportés à chaque membre de la famille. Il les a soigneusement rangés sous le sapin qui ne peut manquer dans aucune maison. Il est là, tout beau, majestueux, décoré depuis le matin de boules colorées et de guirlandes brillantes, ou de pains d'épice et de décorations en bois et en paille, selon le goût des maîtres de maison. Ensuite, il est temps de s'amuser et de déguster des friandises de Noël, chefs-d'oeuvre des ménagères tchèques. Et puis, à la fin de la soirée, on s'en va à l'église, pour la Messe de minuit. Aujourd'hui, vous aussi, chers amis, vous y êtes invités.

La place de la Vieille-Ville à Prague
Emmitouflez-vous dans vos manteaux et venez avec nous, à travers les paysages silencieux et les villes paisibles, couvertes de neige brillante. On n'entend que la sonnerie des cloches, les pas des gens qui prennent la même direction que nous et de petits rires. Nous voilà à l'église. Après la fraîcheur de la nuit d'hiver, la chaleur des bougies et le parfum de l'encens... Tout le monde sourit. Pourquoi ? Parce que dans quelques instants, on va entendre la Messe de Noël tchèque de Jakub Jan Ryba, composition qui réchauffe le coeur. Depuis plus de 200 ans, on la joue et chante le 24 décembre au soir, et aussi tout au long de l'avent. Bref, sans la messe de Ryba, le Noël tchèque serait inimaginable.

Le compositeur, chanteur, organiste et instituteur, Jakub Jan Ryba, a créé une oeuvre, dont le texte est aussi poétique que la mélodie. L'histoire est très simple : les bergers sont réveillés par une clarté extraordinaire des cieux et par le chant des anges. Ces derniers leur annoncent la naissance de Jésus. Peu après, tous les gens du village sont debout, ils prennent des cadeaux pour le bébé et s'en vont à Bethléem, chanter les louanges de Dieu et prier pour la paix. Les chanteurs et les musiciens sont prêts, on peut commencer... Le berger réveille son maître en lui disant :

Hola maître ! Levez-vous

regardez autour de vous !

Quelle beauté dans cette nuit !

Les étoiles sont plus belles

le ciel est plus clair,

la lune resplendit,

les jardins et les bois -

tout est enveloppé par la lumière !

Le maître, lui, n'est point content d'avoir été réveillé...

Bien ! Bien ! Pourquoi tu ne me laisses pas dormir ?

Pourquoi tu m'effraies ?

J'ai travaillé toute la journée

couvert de sueur je me suis couché.

Au lieu de m'accorder un peu de repos

tu me réveilles !

Mais après, le maître aperçoit, lui aussi, la lueur peu habituelle des étoiles. Puis, les deux bergers écoutent, ensemble, le chant des anges et chantent, eux-mêmes :

D'où vient cette musique si douce et si belle ?

Cette jubilation, ces chansons célestes ?

Allons sans retard

là où la musique résonne !

Curieusement, les auteurs d'oeuvres optimistes, chaleureuses et joyeuses, qu'il s'agisse de livres, de tableaux ou de compositions musicales, sont souvent malheureux dans leur vie personnelle, ou dans la vie terrestre tout court. Jakub Jan Ryba se range parmi eux.

Il est né en 1765, dans une famille de musiciens. A quinze ans, Jakub Jan entre dans un lycée pragois, loin de sa famille, installée à la campagne. Les quelques années qu'il passe à Prague seront les plus heureuses, peut-être, de toute sa vie. Le futur compositeur apprend le latin, le grec, le français, l'allemand et l'italien. Il lit Rousseau et Voltaire dans le texte, va souvent au théâtre, il est imprégné de musique, surtout de celle de Mozart, que l'on entend partout à Prague. Le jeune Jakub Jan rêve de voyager, d'entamer une carrière artistique. Mais... la vie en décide autrement. Lorsqu'il a vingt ans, son père lui demande d'accepter un poste d'instituteur en province. Dans la pièce de théâtre, La nuit des bergers, où le dramaturge tchèque contemporain Josef Boucek raconte le destin de Ryba, ce dernier explique à son amie :

Ryba

Quand mon père m'a demandé de quitter Prague, pour que j'aide la famille, j'ai pensé que ça n'allait pas durer longtemps. Mes frères étaient encore petits, ils n'avaient pas de quoi vivre. Que devais-je faire, les laisser mourir de faim ? Quand j'ai compris que je ne reprendrais plus jamais mes études, que je ne verrais pas Vienne, Munich, Dresde, que c'en était fini de la musique, la grande musique que l'on ne peut pas faire sans amis, sans rivaux, sans public, sans musiciens et chanteurs... Quand j'ai compris tout cela, il m'est arrivé une chose étrange... Un jour, je me promenais dans le verger, derrière notre maison et, tout d'un coup, j'ai vu ma future vie devant moi. Et je me suis évanoui. On ne savait que faire. Le médecin a pensé que c'était une fièvre nerveuse. Pendant trois mois, je suis resté au lit. Et quand je me suis rétabli...

Pavla

Vous étiez un petit instituteur de province. Mais pourquoi n'avez-vous rien fait contre ? Dans la vie, on ne peut pas toujours se laisser aller.

Ryba

On ne peut pas non plus baser son propre bonheur sur le malheur de ses proches.

Pavla

Mais un artiste a aussi des obligations envers soi-même !

Ryba

Et si tout le monde, tous les Tchèques étaient parti à l'étranger ? Que deviendrait la Bohême ? Quelqu'un doit bien rester à la maison.

L'église de Rozmital
A 23 ans, Jakub Jan Ryba s'installe à Rozmital, une petite ville pittoresque, non loin de Prague. Il travaille, nous l'avons déjà dit, comme instituteur, ce qui, à la fin du 18e siècle, n'était pas facile du tout. Bien que la scolarité soit obligatoire de 6 à 12 ans, à la campagne, l'école est perçue comme une institution inutile. Les élèves sont désobéissants, ils n'ont aucun respect du maître, car leurs parents, eux, n'en ont pas non plus. En plus, les frais de scolarité que beaucoup de familles refusent de payer, sont, à l'époque, le seul revenu de l'instituteur. L'école est très pauvre : en hiver, les enfants doivent y apporter du bois pour chauffer. Quand il n'y a pas de bois, les cours n'ont pas lieu. Le bâtiment de l'école nécessite des réparations, mais personne ne s'en occupe.

Au lieu de se résigner, Jakub Jan Ryba se plonge complètement dans le travail avec les enfants. Il leur fait découvrir la musique, insiste pour qu'ils parlent bien l'allemand, il leur apprend aussi à travailler dans le jardin, à s'occuper des animaux et même à coudre et à tricoter. Toute sa vie est marquée par une lutte perpétuelle, difficile et épuisante contre les hommes bornés et orgueilleux. Les autorités locales ne l'aiment pas, car il ne cesse de se plaindre des mauvaises conditions, dans lesquelles il est obligé d'enseigner. Et puis, le maître d'école novateur est la bête noire du curé. Pour le jeune Ryba, l'école est aussi importante que l'Eglise, ce que le curé n'accepte absolument pas. Tout cela, Jakub Jan Ryba nous le raconte dans son journal. Et sa vie personnelle ? Ryba et son épouse Anna ont treize enfants, mais seulement sept d'entre eux atteignent l'âge adulte. Son fils aîné, par exemple, devient médecin ophtalmologiste et doyen de la faculté de médecine, à Prague. Nourrir une famille aussi nombreuse est, pour le maître d'école pauvre, épuisant. Dans les moments les plus difficiles, Ryba se réfugie dans la musique qui est sa passion, sa raison d'être.

Pendant sa courte vie, Jakub Jan Ryba a créé près de 1500 compositions : concerts, symphonies, menuets, pastorales et... messes. C'est en 1796 que sa Messe de Noël tchèque, la plus populaire, voit le jour. Elle est présentée, pour la première fois, à l'église de Rozmital : Ryba joue de l'orgue et les gens du village chantent. D'ailleurs, ils avaient des voix très aiguës, ce qui pose, aujourd'hui, pas mal de problèmes aux interprètes, surtout aux amateurs. Au fil des siècles, les musiciens tchèques, connus ou pas, ont composé des dizaines de messes de Noël. Elles sont tombées dans l'oubli, alors que celle de Jakub Jan Ryba a survécu et, même au IIIe millénaire, elle a encore un succès fou. Qu'est-ce qui fait son charme particulier ? Sa simplicité, sa poésie... Depuis toujours, elle a été beaucoup plus proche du coeur des Tchèques que les messes latines, car le sujet biblique y est traité « à la tchèque »... On y chante, par exemple :

Et toi, Ferda, cours au-delà du bois,

réveille toute la région de là-bas,

et toi, Janek, va dans la montagne

réveille, assemble ses habitants !

(...) Qui portera les cadeaux ?

Tomek les transportera.

Et puis, il y a sa musique, fascinante et émouvante, inspirée de chants et de danses populaires... Jakub Jan Ryba, auteur de la Messe de Noël tchèque, oeuvre qui dégage la joie de vivre, s'est suicidé, à l'âge de 50 ans, dans une forêt, près de Rozmital. Un monument en pierres y a été élevé, pour rappeler la fin tragique de cet homme remarquable. Mais à Rozmital, Jakub Jan Ryba est toujours présent : ses admirateurs ont fondé le Musée Ryba et, tous les ans, le 24 décembre, sa Messe de Noël est chantée à la petite église du village. L'orgue de l'époque, récemment restauré, fonctionne toujours très bien.

Si Jakub Jan Ryba rêvait de voyager, sa musique l'a fait à sa place. Traduite en plusieurs langues, la Messe de Noël tchèque est connue, aimée et jouée dans le monde entier. Ecoutons, à la fin de cette émission spéciale, encore un extrait de la Messe, interprétée par les jeunes du lycée pragois Evropska. C'est devenu une tradition : chaque année, les étudiants en terminale, option musique, la présentent dans des églises pragoises, devant leurs professeurs, parents et amis.

Auteur: Magdalena Segertová
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