"Mes pas dans les tiens..." : deux peintres tchèques en Bretagne

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La Galerie 35 de l’Institut français de Prague se fait une fois encore l’hôte des échanges culturels franco-tchèques. Elle accueille ainsi jusqu’au 22 février Marta Morice et Michal Pěchouček qui présentent le fruit de leur travail autour des paysages de Bretagne peints par Jan Zrzavý dans les années 1930. Radio Prague les a rencontré à l’occasion de l’ouverture de l’exposition pour parler du choix de ce thème et de leur motivation à participer à ce projet basé sur un échange d’atelier entre Prague et Lorient.

Marta Morice, Michal Pěchouček nous sommes à quelques heures du vernissage de votre exposition « Mes pas dans les tiens.... » à la galerie 35 de l’Institut Français de Prague. Est-ce que vous pouvez-nous dire ce qu’on y verra ?

Marta : On va voir des œuvres picturales, la partie de Michal est celle de l’inspiration du bateau tandis que la mienne est une inspiration figurative avec le sujet de « partenaire-panthère », la femme animale et la peinture aquarelle.

Michal : Je voudrais compléter en ajoutant que c’est surtout un extrémisme dans le dialogue, entre deux motivations et deux manières de créer des images. Je ne suis pas complètement sûr que les relations se voient. Ce sont tout simplement des aquarelles et de la peinture.

Vous avez travaillé ensemble sur cette exposition en hommage au peintre tchèque Jan Zrzavý et à son travail en Bretagne dans les années 1930. Qu’est-ce qui vous a plu dans ce projet ?

Marta : Ce n’était pas une inspiration directe. D’abord ce n’était pas un travail en commun, nous étions chacun dans notre atelier. Nous n’avions pas programmé de nous inspirer de son travail, il s’agissait d’aller à la source. C’était la recherche des lieux où il séjournait en Bretagne mais c’est la seule chose qui nous a unis.

Marta Morice vous habitiez à Lorient depuis 13 ans, Michal Pěchouček vous y êtes allés en bénéficiant d’un programme d’échange de résidence, qu’est-ce qui vous a mené tous les deux en Bretagne ?

Marta : Moi c’est mes études, et ensuite j’ai invité Michal car l’idée d’échange d’atelier me plaisait, je trouvais que l’emplacement de mon atelier au bord de la mer, dans le port de pêche de Lorient était vraiment intéressant pour un artiste du continent, de Prague. J’ai fait la proposition à l’atelier de Karlin, Michal est venu et moi je suis allée dans son atelier à Karlin.

Photo: Institut français de Prague
Michal : C’était vraiment pour le magnifique paysage. Depuis longtemps l’art de Jan Zrzavy m’inspire, c’est l’un des plus grands artistes du XXe siècle pour l’art tchèque et il y a une grande différence dans son art entre avant son expérience avec la Bretagne et après. Quand Marta est venue avec cette idée d’échange, je n’ai pas hésité, je n’ai posé aucune question car je savais déjà que je voulais visiter cet endroit.

« Mes pas dans les tiens... », c’est le nom de votre exposition. Vous avez cherché les endroits où est allé le peintre, les paysages qu’il a peint. Qu’est-ce que vous cherchiez là-bas précisément ? Et surtout est-ce que vous l’avez trouvé ?

Marta : Très bonne question. Oui et non : les vues ont changé, l’architecture a forcément changé, des maisons ont été abattues entre-temps et donc le paysage urbain a beaucoup changé. Moi je trouve toujours quelque chose quand je regarde ces tableaux, je trouve quelque chose de la Bretagne et à ces endroits forcément je retrouve les tableaux comme je les ai connus quand j’étais petite, à l’école, car c’est un peintre qui a marqué notre époque. Ce qu’on a trouvé de concret c’est difficile à dire… Les choses qui restent toujours en Bretagne : le mouvement de l’océan, le mystère que dégagent les roches noires, les choses mystiques. On n’a pas cherché les détails précis à propos d’où il habitait, qui il a rencontré mais plutôt les prises de vue.

Jan Zrzavý était séduit et ému par la Bretagne, l’inertie du paysage, sa nostalgie et sa sérénité. Est-ce que, plus de 80 ans plus tard, vous avez réussi à retrouver ces sensations et à capter les mêmes émotions sur les lieux qu’il a peint ?

Michal : On a trouvé ce que Jan Zrzavy n’a pas trouvé ici. Bien sûr à part la mer, il y a cette forme de monumentalité, cette brutalité du paysage. Ici tout est comme modéré : les montagnes sont modérées, les fleuves sont modérés. Il n’y a pas ce paysage dramatique. Une autre chose qu’il ne pouvait pas trouver en République tchèque était cette lumière spécifique, qui laisse voir un spectre de couleurs qui lui est propre. Je dirais que dans cette configuration il est plus inspirant de peindre l’automne et les paysages de Bretagne qui ont cette lumière. Je voulais peindre mes monochromes en Bretagne car il y a cette lumière spécifique qu’il n’y a pas en République tchèque. J’ai trouvé aussi là-bas une motivation qui m’a donné une chance en tant que peintre, je ne pense pas à un peintre qui reste un certain temps mais plutôt à une possibilité momentanée qui se présente de peindre quelque chose de différent. Donc plutôt qu’un exercice ce que j’ai trouvé c’est surtout cette motivation.

Marta : Ça m’a aidée à retrouver ma motivation pour la peinture car j’avais des doutes. Je me suis retrouvée à Karlin avec beaucoup de peintres et on a mené des dialogues tous les jours, ils étaient curieux d’avoir mon avis sur leur travail. Ça m’a redonné de l’énergie, car l’atelier où je suis est surtout occupé par des sculpteurs, des artistes qui font des installations et d’une manière générale je ne suis pas très entourée par un grand nombre de peintres donc ici je me suis sentie plus entourée.

Vous avez chacun utilisé vos propres techniques artistiques pour construire cet hommage à la peinture de Jan Zrzavý, pourquoi et comment avez-vous choisi ces techniques – l’aquarelle pour Marta Morice, la peinture et le monochrome pour Michal Pěchouček ? Comment avez-vous fait correspondre votre art avec celui du peintre ?

Marta : Il n’y avait pas d’idée de correspondance. On est dans un autre monde, il y a une évolution dans la peinture donc on ne peut pas être en relation avec ce qu’il faisait... Si, peut-être un petit peu : je parlais du symbolisme de Zrzavý qui m’a inspirée, j’aimais beaucoup ce symbolisme chez lui, les yeux fermés, le secret sous-jacent qui n’est pas exprimé.

Jan Zrzavý à Paris,  1926
Michal : Cette inspiration est évidente dans ce cycle puisqu’il y a partout des motifs de voiles et de bateaux et c’était son domaine. Je dirais que j’ai commencé une sorte d’étude « à la Jan Zrzavý ». Il y avait bien sûr aussi une inspiration des sujets de ses tableaux, même si c’est plutôt une association d’idée car la peinture qui est sur ces toiles est contrôlée et systématique. Le plus important c’est bien sûr l’inspiration avec les motifs que j’ai mentionnés.

Vous m’avez dit en plus que vous aviez travaillé séparément pour ce projet, alors comment construit-on une exposition à deux en travaillant chacun de votre côté ?

Marta : c’était un parti pris, un pari. Hier, on ne savait pas si les oeuvres allaient se correspondre, on s’est rendu compte sur place que finalement oui. On voulait faire ce projet car on était proche par l’idée mais par la technique nous savions d’avance que nous étions très éloignés. Rien ne nous unissait, personne ne nous a invité à construire cette exposition ensemble et nos travails sont opposés donc tout reposait sur un jeu de conception de cet espace qui s’est jouée hier, en installant.

Michal : Je pense que quelque part c’est très bien de laisser place à la surprise. Nous avons travaillé intensivement de notre côté en sachant que nous n’aurions pas d’espace pour nous entraîner sur l’installation de l’exposition ou créer un système modèle. Nous n’avions pas la possibilité de nous préparer avant. Nous avons laissé joué la chance et la suprise en faisant quelque chose de classique, et en profitant de la présence de Marta. Nous avons rassemblé nos oeuvres et les avons choisi en dialoguant, nous ne nous sommes jamais disputé concernant l’installation, bien au contraire c’était très productif. Je suis très content de voir que malgré le fait que nous ayons dû improviser, que nous n’ayons pas pu penser à l’installation avant, nous avons tout simplement réussi à créer une composition d’oeuvres qui sont en contraste et qui en même temps se complètent.

Marta : Finalement la crainte que ça n’aille pas ensemble me semble un avantage. Ce sont deux univers différents et ça me semble plus riche que si c’était un seul artiste, l’horizon me semble plus ouvert.