Le répertoire de Katka García, des chants séfarades d’Espagne aux balades irlandaises

Katka Garcia, photo: Jiří Turek, Supraphon

Si le terme de citoyen du monde est souvent galvaudé, on peut dire qu’il correspond quand même plutôt bien à Katka García. De mère tchèque, de père espagnol, avec des origines juives et russes, elle vit à l’heure actuelle en Irlande où elle enseigne l’espagnol. De cette combinaison de cultures, elle n’a pu faire qu’un atout. Katka García, arrière-petite-fille du célèbre peintre Art nouveau Alfons Mucha, est également chanteuse. Après un premier groupe au nom gaélique de Dún an Doras, elle se produit aujourd’hui avec son groupe García. Au répertoire de Katka García, des chants séfarades, des balades irlandaises en anglais ou en gaélique mais aussi quelques compositions propres. D’ailleurs un nouvel album est en préparation. Rencontre avec Katka García.

Katka García,  photo: Jiří Turek,  Supraphon
« Mon père est le fils d’un officier de l’armée républicaine espagnole, pendant la guerre civile. Mon grand-père s’était exilé à Moscou. Il a fait connaissance de ma grand-mère et après la guerre ils se sont installés à Prague. Mon père y est né et y a grandi. Après la mort de Franco en Espagne, toute la famille est rentrée en Espagne. »

C’est vraiment original. En République tchèque, il n’y a pas autant de métissage que dans d’autres pays, comme en France, par exemple. C’est une combinaison de cultures assez originale. Rappelons que les auditeurs de Radio Prague connaissent votre mère, Jarmila Mucha-Plocková, puisqu’elle a récemment eu une exposition de bijoux et d’objets inspirés d’Alfons Mucha. Alfons Mucha est votre arrière-grand-père, c’était son grand-père puisqu’elle est la fille de Jiří Mucha.

« C’est cela. Je me rappelle que dans mon enfance il y avait toujours des affiches de Mucha. J’étais consciente que l’art de Mucha faisait partie de notre famille. Quand je vois un film par exemple, et qu’il y a un intérieur avec une affiche de Mucha, je suis toujours très surprise. »

Vous êtes donc tchèque, espagnole, vous avez des origines russes... Et vous vivez à l’heure actuelle en Irlande où vous êtes professeur. Qu’y enseignez-vous ?

« Je suis hispaniste donc j’enseigne l’espagnol. Quand je suis arrivée en Irlande j’ai eu la chance de trouver un travail au Trinity College à Dublin, au département des études hispaniques. »

Katka García,  photo: Jiří Turek,  Supraphon
A côté vous êtes chanteuse et vous avez un éventail très large d’intérêts puisque vous vous intéressez à la fois aux chants séfarades et aux chants irlandais, en gaélique... Comment êtes-vous venue à vous intéresser à ces chants ?

« La musique irlandaise, ça vient de la famille. Quand je vivais à Barcelone, mon père avait des amis écossais et irlandais. Je me souviens qu’un jour il a apporté une cassette avec des chants irlandais et écossais. J’ai adoré dès la première écoute ! »

C’était des chansons traditionnelles ?

« Oui. Quand nous sommes allés à Prague, j’avais ces cassettes et c’était pour moi le symbole qui me rappelait mon père, ma vie en Espagne. J’écoutais la cassette de manière obsessionnelle. J’apprenais les chansons par cœur. »

Sans comprendre le gaélique et l’anglais ?

« Voilà ! Même sans comprendre l’anglais, je devais chercher des mots dans le dictionnaire. Pour la musique séfarade c’est un cas un peu différent. Dans mes études, je me suis beaucoup intéressée à la langue des juifs séfarades. Pendant mes recherches pour ma maîtrise et mon doctorat, j’ai trouvé plusieurs compositions. A l’origine c’était plutôt un intérêt de recherche, mais maintenant ça fait partie de mon propre répertoire. J’aime la langue et la culture séfarades. C’est une passion. »

Rappelez-nous, et aux auditeurs qui ne sauraient pas ou qui auraient oublié, de quelle époque datent ces chants séfarades ?

« Il y a plusieurs théories sur la datation de ces chansons, mais on peut dire que la langue de ces chansons est essentiellement du vieux castillan avec des influences turques, françaises. Il y a toute une série d’influences linguistiques. Pour ce qui est de la musique, certaines chansons sont dérivées des anciennes ballades castillanes. Il y a un groupe de chansons beaucoup plus modernes qui ont été composées entre 1890 et 1910, grâce aux influences de la chanson française et italienne. C’est tout un syncrétisme musical. »

Cela veut dire que ces chants juifs séfarades s’étalent du Moyen Age jusqu’à aujourd’hui, en tout cas jusqu’au début du XXe siècle ?

« Oui, il y a des ballades dont on peut retracer les origines dans la tradition péninsulaire andalouse, espagnole, castillane. »

Est-ce qu’elle a été influencée par la période musulmane de l’Espagne ?

« Quand les juifs vivaient en Espagne, il a certainement dû y avoir des influences entre les musulmans, les juifs et les chrétiens, culturellement et dans la sphère de la musique. Quand les juifs ont été expulsés d’Espagne en 1492, des milliers d’émigrés se sont établis dans l’Empire ottoman. La musique turque, les instruments des Ottomans ont influencé la musique des juifs séfarades, celle qu’ils avaient apportée avec eux d’Espagne. »

Vous vivez à Dublin, vous rentrez faire vos concerts en République tchèque. Mais est-ce que vous chantez en gaélique en Irlande et comment réagissent les Irlandais ?

« La plupart des chansons que je chante sont en anglais, mais il y a des chansons en gaélique. Avec mon groupe, Garcia, ici à Prague, je chante en gaélique. Et les Irlandais, eh bien, ils sont très surpris, parce que tous les Irlandais ne savent pas parler ou chanter en gaélique. Il y a peu de personnes compétentes à la fois en anglais et en gaélique. C’est toujours un peu surprenant pour eux. Mais ils sont contents. »

Avez-vous l’impression que le gaélique se perd en Irlande ? Que ce sont surtout les vieilles générations qui le parlent ?

« Aujourd’hui, il y a une renaissance et un regain d’intérêt pour la langue irlandaise. Quand le premier Etat libre irlandais a été fondé, en 1921, les élites politiques et culturelles voulaient que ce soit un pays indépendant de la Grande Bretagne, pas seulement politiquement mais également sur le plan linguistique. Dans la constitution irlandaise, l’irlandais, le gaélique est la première langue d’Etat. Tous les documents officiels, les panneaux publics sont ainsi d’abord en irlandais, et ensuite en anglais. L’irlandais est obligatoire, les examens en irlandais sont obligatoires au baccalauréat. Mais la plupart des Irlandais ne sont pas bilingues. Mais aujourd’hui, les nouvelles générations ont plus d’intérêt pour la langue. »

Je vais terminer par une question linguistique puisque ce sont des sujets auxquels vous vous intéressez aussi et puis parce que vous parlez de nombreuses langues... En quelle langue rêvez-vous ? En tchèque ? En espagnol ?

Katka García,  photo: Jiří Turek,  Supraphon
« Le rêve, ça dépend du pays où je me trouve. Quand je suis en République tchèque, je rêve en tchèque. Quand je suis en Espagne, au bout d’une semaine, je commence à rêver en espagnol. En Irlande, c’est parfois en anglais, parfois en tchèque. Mais je pense dans la langue du pays où je me trouve. Mais jusqu’à récemment, je pensais que j’étais complètement bilingue en espagnol et en tchèque. J’ai eu un accident, je suis tombée de mon vélo. Quand j’étais à l’hôpital, en attendant le médecin, j’ai commencé à oublier les autres langues. Je ne comprenais pas ce que les gens me disaient en anglais parce que j’étais sous le choc. J’ai reçu un coup de téléphone de mon collègue espagnol et je comprenais tout, mais je n’arrivais pas à parler, je ne me rappelais pas des mots. La dernière langue, celle qui est restée, c’est le tchèque. Donc je me suis dit : voilà, c’est le tchèque, la langue la plus profondément ancrée en moi. »

Le groupe García sera en concert au Rock Cafe à Prague le 26 mai.