Laurence Leblanc : j'aime photographier dans des endroits forts, qui ont une résonance

Laurence Leblanc / VU'La Galerie
0:00
/
0:00

Bienvenue, à toutes et à tous, à l'écoute de Culture sans frontières... Avec Laurence Leblanc, une jeune photographe française venue, début mars, à Prague, nous voyagerons dans plusieurs pays, notamment au Cambodge. Ses photos sont montrées jusqu'au 23 avril prochain, à la Galerie Langhans, à Prague, dans le cadre de l'exposition des photographes de la Galerie parisienne VU'.

Laurence Leblanc a suivi des ateliers de peinture et de dessin et étudié la gravure aux Arts Décoratifs du Louvre, avant de ce lancer dans la photographie. Artiste remarquable et remarquée, lauréate de plusieurs prix internationaux, elle est connue notamment pour ses photos d'enfants du Cambodge, photos en noir et blanc, floues, qui laissent deviner son rapport intime avec le pays et ses habitants. Laurence Leblanc...

"J'ai travaillé sur ce sujet pendant pas mal d'années. Il s'avère que j'ai continué, au Cambodge toujours, sur des femmes en pagodes, qui sont en fin de vie. Là, ce qui m'intéresse, c'est essentiellement la femme, la spiritualité, parce que ce sont des pagodes bouddhiques, et la fin de vie, la vieillesse. J'ai effectué mon premier voyage au Cambodge en 1999. J'avais déjà commencé mon travail sur les enfants dans d'autres pays. Et puis, il y a eu une rencontre avec ce pays. Pour moi, ça avait un sens d'aller voir comment les enfants se construisent dans un pays qui a connu le génocide. Mes images peuvent retranscrire l'état actuel du pays, mais en même temps, c'est ma vision, c'est très personnel : on ne peut pas dire que les enfants du Cambodge sont tristes ou quelque chose comme ça. Par contre, on sait que les Cambodgiens aujourd'hui font des cauchemars, qu'il y a des non-dits dans les familles... Les enfants sentent qu'il y a des choses qui se sont passées, même si, souvent, ils ne sont pas au courant."

Vous y retournez souvent ?

"Je suis allée dans d'autres pays : en Somalie, en Inde... Au Cambodge, j'y suis allée six fois. J'aime bien retourner, creuser pour continuer de dire des choses sur les endroits qui sont forts et qui ont une résonance. C'est vrai que pour moi, le Cambodge a une très forte résonance pour moi, c'est comme si une partie de moi-même était cambodgien... Après, je ne suis pas très attirée par l'Amérique, par les Etats-Unis, par les pays modernes. Ce qui m'intéresse, c'est la justesse des rapports humains et mon questionnement s'est toujours rapporté à l'identité, aux relations humaines, à ces passerelles qui, dans les pays développés, ont tendance à se briser ou à disparaître."

La République tchèque, avec son consumérisme, a-t-elle aussi une résonance pour Laurence Leblanc ?

"Quant à Prague, j'avais une première approche avec la littérature, j'ai beaucoup lu Kafka... La littérature a toujours été importante pour moi, justement par rapport au sens de la vie, à la justice, à tous ces questionnements. Je suis heureuse d'y être. J'ai trois jours devant moi, c'est rien... mais en même temps c'est bien. Je vais essayer de plonger dans le pays et si je dois revenir, je reviendrai. Le plus important pour moi, c'est l'histoire. Ce qui m'a amenée au Cambodge, c'était l'histoire, le génocide. Ce qui m'intéresse ici, c'est la révolution, la résistance, ça m'interpelle. Ces choses qui ne se sont pas passées ailleurs, qui sont spécifiques pour ce pays-là."

Du flou, qui distingue ses portraits de petits Cambodgiens, Laurence Leblanc en dit : "J'utilise le flou pour exprimer cette quête d'identité de l'enfant qui vit l'instant à cent pour cent sans se préoccuper du passé ni du futur."

"Cette forme particulière est venue petit à petit. Je n'ai pas cherché à être différente. Je veux que le spectateur puisse se raconter sa propre histoire. La réalité m'intéresse tant qu'elle touche à l'imaginaire. J'aime tout le processus de la photographie : la prise de vue, tout ce qui est tirage, développement. Je fais tous mes tirages moi-même. J'accorde beaucoup d'importance à la retouche. Les grands formats, je les fais tirer par quelqu'un, mais je suis avec lui. J'utilise les appareils du type moyen format, le négatif est 6 cm sur 6 cm. Je travaille en argentique et un peu à l'ancienne. Pour mon travail personnel, je n'utilise pas le numérique. Je n'interviens pas plus que ça au niveau du tirage avec des procédés particuliers."

Avant de se rendre à Prague, Laurence Leblanc a fait un voyage à Cuba... Ses impressions étaient encore toutes fraîches...

"J'ai appris qu'il y avait des femmes qui s'appelaient 'les damos blancs' qui se réunissaient dans une église, une fois par semaine, et ce sont les femmes des dissidents qui sont en prison. Ce lien entre la femme, le blanc, la pureté, la résistance... ça m'a donné envie d'y aller. Arrivée sur place, j'ai vu que ça aurait été très compliqué, d'aller dans des prisons etc. Donc j'ai cherché dans La Havane ce qui me touchait le plus. Et je me suis vite rendue compte que la vie est très très difficile : il y a des cartes de rationnement, tous les jours, les gens vont attendre pour avoir du pain, du poisson, du poulet... Ils attendent le bus tout le temps, deux heures, trois heures... J'ai travaillé sur ça. Peut-être que je ne garderai pas d'images, je ne sais pas... Mais en tout cas, ce qui a été vécu, les rencontre que j'ai faites, c'était bien."

Auteur: Magdalena Segertová
lancer la lecture