Klimt – Kupka – Mucha en première exposition commune depuis 1900

Le Musée Kampa à Prague propose actuellement à ses visiteurs une exposition commune de trois artistes centre-européens : Gustav Klimt, František Kupka et Alfons Mucha. Trois artistes réunis dans la même installation pour la première fois depuis 1900. Il s’agit de la première exposition ouverte au Musée Kampa depuis les inondations de juin dernier avec pour objectif de faire découvrir également les dessins de ces peintres fascinés et unis par un thème commun : la beauté féminine.

Plus d’un siècle plus tard, nous retrouvons donc sous un même toit les œuvres de Gustav Klimt, František Kupka et Alfons Mucha. C’est la première fois depuis l’Exposition mondiale à Paris en 1900, que leur est consacré un espace commun, cette fois donc à Prague. Si les trois artistes ont abouti dans leurs carrières à des styles très différents, ils avaient cependant des points de départ communs. A la fin du XIXe siècle, tous les trois sont passés par l’atelier de Hans Makart, peintre et décorateur autrichien connu surtout pour son influence sur Gustav Klimt. De plus, Gustav Klimt, František Kupka et Alfons Mucha ont vécu un temps à Vienne au tournant des XIXe et XXe siècles. Membre du conseil d’administration du Musée Kampa depuis 2012, et accessoirement ancien ministre de la Justice, Jiří Pospíšil précise le contenu de l’exposition intitulée « Judith à Kampa » :

Jiří Pospíšil,  photo: Jan Sklenář,  ČRo
« Le Musée Kampa, Fondation d’art de Jan Mládek et Meda Mládková, est propriétaire de la plus grande collection privée d’œuvres du peintre tchèque František Kupka. Nous organisons souvent des expositions qui possèdent un lien avec Kupka. L’exposition ‘Judith à Kampa’ est consacrée aux peintures et desseins d’artistes de la même génération que Kupka : Alfons Mucha et Gustav Klimt. Le joyau de l’exposition est la ‘Judith’ de Gustav Klimt. Un tableau, dont est propriétaire la Galerie de la peinture d’Ostrava et qui revient à Prague après de longues années. »

Le leitmotiv de l’exposition est le corps et la beauté de la femme. Mais la collection est composée de façon à donner aux visiteurs un aperçu d’une démarche particulière du peintre, celle du dessin. Il s’agit du dessin en soi, mais également des esquisses qui servaient de modèles pour les peintures à l’huile. Pour le directeur de la Galerie de la peinture d’Ostrava, Jiří Jůza, l’intérêt de l’exposition réside précisément dans la place qu’elle donne aux dessins :

« L’exposition est très intéressante, car elle fait découvrir aux visiteurs l’œuvre de trois artistes importants qui avaient un style assez comparable avant 1900. Ils étaient tous actifs à Vienne et se connaissaient peut-être les uns les autres, ne serait-ce que de nom. Mais, après 1900, leur activité artistique s’est diversifiée de façon significative. Cette exposition présente l’ensemble des peintures et dessins de Gustav Klimt, que l’on trouve sur le territoire tchèque notamment dans des collections privées. C’est ce rassemblement de l’intégralité des possessions des œuvres de Klimt qui rend cette exposition singulière. »

Judith de Klimt,  photo: Archives du musée Kampa
Comme l’affirme Jiří Jůza, les organisateurs de l’exposition ont réussi à rassembler toutes les œuvres de Gustav Klimt disponibles en République tchèque, à l’exception d’une peinture de la Galerie nationale dont le mauvais état ne permet pas le déplacement. Ainsi, les visiteurs redécouvrent le style flamboyant de ce symboliste viennois, représentant parmi les plus connus de l’Art Nouveau du début du XXe siècle. L’exposition commence avec ses dessins et culmine avec la peinture de Judith de Klimt, un chef-d’œuvre qui fait partie des collections permanentes de la Galerie de la peinture d’Ostrava. Son directeur, Jiří Jůza évoque l’histoire de l’acquisition de cette peinture réalisée aux environs de 1905 :

« La peinture de ‘Judith’ a été acquise par la Galerie de la peinture d’Ostrava dans les années 1950. Nous savons aujourd’hui qu’elle provenait d’une propriété allemande. Suite aux restitutions, nous avons été contraints de rendre à leurs propriétaires d’origine des œuvres des homologues de Klimt, Kokoshka et Munch. Ainsi, ‘Judith’ de Klimt est devenue une œuvre phare de nos collections. Dans les années 1980, la peinture a été également prêtée pour une exposition de la Galerie nationale à Prague. Ce n’est qu’avec l’exposition au Musée Kampa que nous nous sommes mis à nous intéresser aux différents indices contenus sur le verso du tableau. Cela ne signifie pas qu’il n’y avait pas d’intérêt pour la chose dans le passé, mais plutôt que les historiens de l’art n’avaient pas cette tendance qui est celle d’aujourd’hui de remettre en question l’authenticité de certaines œuvres. »

Judith II
Parfois appelée la Joconde d’Ostrava, La Judith est la seconde peinture de ce nom réalisée par Gustav Klimt. La première, la plus connue, a été réalisée quatre ans plus tôt, en 1901. Elle se trouve actuellement au musée viennois du Belvédère. La Judith numéro II, celle d’Ostrava, n’ayant pas quitté le territoire tchèque depuis les années 1950, elle s’est également trouvée pendant longtemps à l’abri de l’intérêt des historiens de l’art. C’est ainsi donc qu’ont été soulevées des questions sur l’authenticité de cette œuvre moins connue de Klimt. Jiří Jůza explique la recherche qu’a entreprise son équipe afin de disperser les rumeurs. Plusieurs indices se trouvant au verso du tableau leur ont facilité la tâche :

« Nous avons commencé par nous intéresser au verso du tableau qui contient des informations intéressantes relatives à l’histoire et à l’authenticité du tableau. S’y trouve notamment un tampon de Ludwig Justi, historien de l’art et directeur des collections de Berlin d’avant-guerre, un homme très respecté et apprécié aujourd’hui encore. Ludwig Justi avait inscrit une note concernant Judith dont nous avions vérifié l’authenticité. Il y mentionne le propriétaire précédent du tableau, un certain Friedrich von Schönbach. Dans les archives, nous avons trouvé qu’il travaillait au musée de Vienne au début du XXe siècle et qu’il était aussi un citoyen très actif en politique. Un second indice représente les armoiries de la famille des Volowitz, une famille originaire de l’ouest de la Russie mais qui a vécu partout en Europe. Nous avons encore des doutes quant au rapport de cette famille avec la peinture de Judith. »

Les deux Judith de Klimt se ressemblent beaucoup, dans la composition de l’image et bien sûr dans le sujet. Les deux accentuent la sensualité de Judith, personnage de la Bible qui dupe ses adversaires précisément grâce à sa sensualité. Jiří Jůza :

« Cette peinture n’est pas typique du style de Klimt. Si on la compare avec la Judith de la galerie viennoise, le tableau qui est à Ostrava est plus naturaliste et met plus l’accent sur la beauté envoûtante et sexuelle de Judith. Grâce au travail de restauration de Tomáš Berger, plusieurs couches de vernis ont été enlevées, ce qui a permis de mettre en valeur ce style brillant mais très doux en même temps, un style qui correspond plus à la touche de Klimt à ses débuts. »

Quant à l’œuvre de Gustav Klimt, l’exposition du Musée Kampa vient en complément des grands événements organisés surtout en Autriche en 2012 pour le 150e anniversaire de la naissance de l’artiste. La mise en avant des dessins de František Kupka répond également à une logique bien précise, le Musée Kampa disposant de la plus grande collection privée d’œuvres de Kupka. Jiří Pospíšil complète :

František Kupka,  photo: Archives du musée Kampa
« Nous avons une exposition permanente des œuvres-clés de František Kupka. Après cette exposition de ‘Judith à Kampa’, nous envisageons d’installer une exposition classique qui porte sur l’évolution du style de Kupka, qui est passé de la peinture figurative à la peinture abstraite. Il ne faut pas oublier que Kupka est le fondateur mondial du style abstrait et peut être considéré comme le peintre tchèque le plus proéminent. »

Considéré donc comme le pionnier de l’art abstrait, František Kupka a vécu pendant plusieurs décennies dans la banlieue parisienne, à Puteaux, où il est également décédé en juin 1957. Le mécène d’art Meda Mládková a récemment acheté les portraits des femmes qui relèvent du style de Kupka avant son abandon de l’art figuratif en 1910. Exposés à Kampa aux côtés des dessins de Klimt, ces portraits proviennent de la collection de Lilly Longren Anderson aux Etats-Unis, qui les a acquis directement auprès de František Kupka. Les quarante-et-une œuvres ont une valeur de plus de 640 000 euros. Jiří Jůza :

František Kupka,  photo: Archives du musée Kampa
« La collection de Kupka est très intéressante également, puisqu’elle expose pour la première fois plusieurs dessins de Kupka acquis l’année dernière par le Musée Kampa de la collection américaine de Lilly Longren Anderson. Cet ensemble contient surtout des portraits de femmes datant du début du XXe siècle. »

Le troisième artiste auquel est consacrée l’exposition « Judith à Kampa » est Alfons Mucha. A la différence de Gustav Klimt et František Kupka, auxquels l’exercice de leur art permettait à peine de gagner leur vie, Alfons Mucha était de son vivant déjà un artiste très apprécié. Célèbre surtout pour ses affiches de style Art Nouveau, Mucha a également vécu à Paris, où il connaissait František Kupka. Il y a déménagé en 1887 et a été embauché par la maison d’édition Armand Colin. Sa démarche artistique se base en fait sur des modèles qu’il a photographiés, ce qui explique une certaine ressemblance dans leur style, même quand les dessins sont réalisés à plusieurs années d’intervalle. Mucha, lui, est retourné en Tchécoslovaquie et est mort meurt à Prague en juillet 1939.

A la sortie du Musée Kampa, Radio Prague a également recueilli le témoignage d’un visiteur français qui tempère son enthousiasme, notamment à travers quelques remarques sur l’organisation de l’exposition :

Alfons Mucha,  photo: Archives du musée Kampa
« L’exposition Klimt-Kupka-Mucha pour moi était un peu décevante, même si j’ai beaucoup apprécié le fait de découvrir un artiste que je ne connaissais pas auparavant, en l’occurrence Kupka. J’ai trouvé qu’il manquait une articulation du type artistique entre les trois, c’est-à-dire qu’il y a beaucoup d’œuvres qui sont produites mais assez peu de texte, et on a l’impression que ce sont trois expositions imbriquées les unes dans les autres sans qu’il y ait vraiment de lien fait entre les trois, à part évidemment le fait que les trois artistes étaient originaires de l’Europe centrale et qu’ils ont vécu et produit à la fin XIXe siècle. Il y a aussi un détail un peu plus pratique et assez désagréable, c’est qu’il fait très froid à cette exposition. Une autre impression est que, parfois, on met des œuvres sans grande valeur ajoutée, qui ne sont pas extrêmement impressionnantes, mais qui sont là un peu pour remplir. Ceci dit, on y trouve aussi des très beaux tableaux. »

En effet, on ne trouve pas au Musée Kampa une description détaillée des œuvres exposées. Selon la critique d’art au quotidien Hospodářské noviny, Helena Kardová, c’est parce que les organisateurs supposent accueillir un fin connaisseur de l’art capable d’en arriver lui-même « aux sources de l’œuvre d’art », comme l’énonce la description de l’exposition.

Les visiteurs intéressés peuvent découvrir l’exposition de Klimt, Kupka et Mucha jusqu’au 22 septembre au Musée Kampa. Judith d’Ostrava retournera ensuite à Ostrava et à la Galerie de la peinture actuellement en cours de rénovation. Elle devrait reprendre sa place habituelle à partir de janvier 2014.