Karel Och : « Etre membre de jury à Cannes a été une expérience de cinéphilie pure »

Uma Thurman, photo: ČTK

Une semaine après la clôture du Festival de Cannes et un mois avant le début de celui de Karlovy Vary, Radio Prague reçoit Karel Och, le directeur artistique du Festival international du film de Karlovy Vary. Karel Och a siégé dans le jury de « la petite sœur » de la compétition officielle de Cannes, à savoir la sélection Un certain regard, présidé cette année par l’actrice américaine Uma Thurman. Sur la Croisette, Karel Och nous a parlé de cette expérience exceptionnelle.

Uma Thurman,  photo: ČTK
« Je me souviens très bien du moment où les organisateurs du festival de Cannes m’ont appelé pour me demander d’y participer… C’était à peu près une semaine avant mon départ pour Cannes. J’étais vraiment très surpris parce que Cannes, comme tout le monde le sait, est le festival de cinéma le plus important au monde. Etre membre de n’importe quel jury à Cannes est donc un grand honneur et une expérience inoubliable. J’ai passé deux semaines en compagnie de trois autres membres du jury incroyables. Avec la présidente du jury de la section Un certain regard, Uma Thurman, nous avons vu au total dix-huit films. Nous avons parlé des films chaque jour, après toutes les projections… Je garderai beaucoup de souvenirs de ces moments. »

On vous a proposé de faire partie du jury seulement une semaine avant le départ ?

« Oui. Les organisateurs s’occupent en effet tout d’abord du programme. De plus, l’organisation cette année a été un peu particulière, en raison de l’élection présidentielle en France. Je pense qu’ils ont commencé à chercher des membres du jury un peu plus tard que d’habitude. Mais c’est pareil à Karlovy Vary. Parfois, nous contactons d’éventuels membres du jury, souvent nos amis professionnels du cinéma, à la dernière minute, en espérant qu’ils seront libres. Mais il est vrai que cela prend du temps. Il faut partir pour deux semaines, il faut s’arranger au travail… et surtout vu que nous sommes en train de finaliser le programme du festival de Karlovy Vary… C’était donc un peu exigeant. Mais c’est Cannes, quand même ! »

Le festival international du film de Karlovy Vary est-il considéré comme important en France ?

Karel Och,  photo: ČTK
« Oui. Bon, certains ne savent pas que le festival de Karlovy Vary est né en 1946, donc la même année que celui de Cannes. Naturellement, sous le régime communiste, il n’était pas possible de parler de la liberté d’expression. Mais le festival de Karlovy Vary proposait quand même beaucoup de choses très intéressantes. Il entretenait par exemple des rapports avec des pays du tiers monde, des pays africains et du Moyen-Orient. A Karlovy Vary, on a donc découvert beaucoup de réalisateurs qui ont plus tard été présentés à Cannes. Mais il faut dire que le festival de Karlovy Vary est connu en France surtout grâce à Eva Zaoralová qui a pris sa direction artistique au début des années 1990. Il y a douze ans, Eva Zaoralová a pris part au festival de Cannes, aussi en tant que membre du jury de la section Un certain regard. Mais elle participe à cet événement régulièrement depuis 1969 déjà et elle est ici très connue et très appréciée. C’est grâce à elle que le festival de Karlovy Vary est connu à Cannes. »

Les autres membres du jury ou les invités du festival, connaissent-ils donc le festival de Karlovy Vary ?

« Surtout de nombreux réalisateurs puisque nous présentons leurs films. Même si certains d’entre eux n’ont peut-être jamais eu l’occasion de venir à Karlovy Vary, ils connaissent le festival. De plus, le festival de Karlovy Vary fait partie des festivals de la catégorie A. C’est-à-dire que si vous gagnez un de ces festivals-là, vous recevrez un soutien financier pour le tournage du prochain film. C’est aussi une des raisons pour lesquelles cet événement est connu. Enfin, le festival de Karlovy Vary est réputé pour son atmosphère très décontractée et pour son public très enthousiaste. »

Pouvez-vous comparer les deux festivals ?

« Le festival de Cannes est destiné surtout aux professionnels. Il y a des cinéastes du monde entier, des distributeurs, des agents de vente… Mais aussi des festivaliers qui arrivent pour assister aux premières mondiales. Par contre, le festival de Karlovy Vary est beaucoup plus ouvert au grand public. Il n’est pas vraiment possible de les comparer. A Cannes, il existe aussi un marché du film. De nombreuses personnes se rendent donc au festival pour participer à ce marché, ce qui influence aussi le nombre de visiteurs.

De plus, selon différents classements, Cannes est indiscutablement le meilleur festival de cinéma au monde, suivi des festivals de Venise et de Berlin. Parmi les autres festivals importants, qui ne sont pas en Europe, figurent par exemple celui de Toronto ou le festival Sundance. Puis, il y a un groupe de festivals un peu moins importants mais qui présentent également des films projetés à Cannes. Il s’agit par exemple des festivals de Karlovy Vary, de Locarno, de Saint-Sébastien ou de Rotterdam. A Cannes, il y a donc des premières mondiales et ces films partent ensuite en voyage d’un an pour faire le tour d’autres festivals. »

Quelle rencontre effectuée dans le cadre du festival de Cannes vous a marqué le plus ? Avez-vous rencontré quelqu’un que vous aimeriez bien inviter à Karlovy Vary ?

« Nous allons tout d’abord choisir les films et ce n’est qu’après que nous enverrons les invitations à leur réalisateur. Il nous reste encore une semaine pour finaliser notre choix. A Cannes, beaucoup de réalisateurs ont exprimé leur souhait de venir à Karlovy Vary. Mais pour l’instant, nous ne savons pas encore qui inviter. Les rencontres qui m’ont marqué le plus, c’étaient celles avec les autres membres du jury, et notamment avec Uma Thurman qui est une actrice archi-célèbre. Elle a été une présidente du jury incroyable parce qu’elle était parfaitement préparée et qu’elle avait une approche systématique. C’était un grand plaisir de suivre son travail avec ses collègues. J’ai bien aimé aussi l’acteur français Reda Kateb qui est ici une célébrité, mais qui est aussi un homme très modeste et très sympathique. Mais ce sont notamment les autres membres du jury qui m’ont marqué le plus puisque nous avons passé presque deux semaines ensemble. Et comme toujours dans les jurys, nous avons beaucoup discuté et nous sommes devenus assez proches puisque vous parlez des films, mais aussi de choses privées… Les discussions portant sur les films donnent souvent naissance à d’autres sujets. C’est la raison pour laquelle j’aime participer à un jury. »

Quel a été votre programme quotidien ?

« La section Un certain regard a présenté cette année dix-huit films. Nous avons vu deux ou trois films par jour. Nous avons déjeuné et dîné ensemble avec les autres membres du jury et nous avons discuté de ces films. C’était de la cinéphilie pure. »

Avez-vous eu un coup de cœur parmi les films présentés à Cannes ?

« Je ne peux que rappeler le verdict du jury qui a attribué le prix Un certain regard au film iranien ‘Un homme intègre’ (Lerd) du réalisateur Mohammad Rasoulof. Au sein du jury, nous étions tous d’accord : il s’agit d’une œuvre complexe d’un cinéaste déjà confirmé. Je suis à chaque fois très content quand je peux assister à la projection d’un tel film dans une belle salle, bien équipée, dans des conditions qu’il mérite. Je me souviens avoir été frappé par la qualité du film de Mohammad Rasoulof, par sa mise en scène, ses couleurs, le jeu des acteurs. C’est un souvenir qui reste. »

Quel a été, pour vous, le moment le plus fort de ce 70e Festival de Cannes ?

« Peut-être la rencontre avec David Lynch qui a présenté à Cannes la troisième saison de sa série culte ‘Twin Peaks’. Je ne l’ai pas rencontré personnellement, mais j’ai été quand même assis à deux mètres de lui… Pour moi, il y a des réalisateurs et… il y a David Lynch. Ce que j’apprécie chez lui, c’est qu’il n’a jamais fait de compromis, il a toujours fait exactement ce qu’il a voulu faire. On peut difficilement décrire l’ambiance qui a régné au Grand Théâtre Lumière lors de la projection des deux premiers épisodes de ‘Twin Peaks’. »