Julien Leclercq a filmé la prise d’otages du vol Alger-Paris à Noël 1994

Julien Leclercq

Sélectionné, en avril dernier, au Festival de Tribeca de New York et vendu dans le monde entier, le film « L’Assaut » du réalisateur français Julien Leclercq est sorti en salles tchèques le 1er décembre. Ce « film intimiste sur la guerre » qui a eu beaucoup d’échos de la part du public dans le monde entier, revient sur la prise d’otages du vol Alger-Paris par les terroristes du Groupe islamique armé, survenue à Noël en 1994. Seize ans plus tard, Julien Leclercq a reconstitué l’opération conduite par les gendarmes d’élite du GIGN qui ont réussi à libérer les passagers et les membres de l’équipage. Fin novembre, le réalisateur a présenté « L’Assaut » à Prague, dans le cadre du 14e Festival du film français. Rencontre…

Julien Leclercq
Julien Leclercq, la prise d’otage du vol Alger-Paris puis la libération et l’évacuation des passagers à l’aéroport de Marseille a été suivie par 21 millions de téléspectateurs, vous étiez parmi eux ?

« Exactement, j’avais quatorze ans à l’époque, j’ai vu le dénouement en direct à la télévision. »

Comment vous est venue l’idée de porter cet événement à l’écran et pourquoi cet événement là et pas un autre ?

« Déjà parce que ça n’avait pas été fait, et ça c’est déjà une bonne chose. Après, ça part d’un livre qui a été écrit par un des membres du GIGN, des gendarmes qui rentraient dans l’avion. J’ai lu livre, je suis allé à la rencontre de ces gendarmes qui ont vécu l’événement et on a décidé d’écrire le film. »

Dans votre film vous présentez l’histoire de trois points de vue différents. Vous la racontez à travers trois personnages, qui sont ces personnages ?

« D’abord il y a le personnage de Thierry Prungnaud, qui est un des leaders du GIGN qui a été le plus grièvement blessé : il a pris huit balles, dont deux à l’épaule, et une grenade dans le dos. Il est toujours vivant, il est en retraite en province, en France. C’était intéressant, car il y a trente héros qui rentrent dans l’avion mais il fallait en suivre un essentiellement, et montrer un peu comment vivent ces gens, mettre un visage sous la cagoule. Un point de vue politique, on suit une jeune énarque qui va suivre pour essayer de comprendre. L’idée de départ était vraiment l’image forte où l’on voit ces trois passerelles qui viennent s’amarrer à l’avion. Comprendre pourquoi et comment on en est arrivé là, ce qu’il s’est passé depuis quarante-huit heures en France, en Algérie, afin de lancer un assaut, pour aller libérer ces gens. Evidemment le troisième point de vue : le point de vue d’un terroriste, pour essayer de comprendre l’adversaire qui a mis sous pression cet avion. »

Etait-il difficile de rester neutre au cours du tournage ?

« Même si j’ai eu l’accord du GIGN, le soutien de l’armée, je leur ai dit que ce ne serait pas une bande démo pour l’armée, pas un film promo. Heureusement, et c’est ce qu’il leur a plu. Il fallait être le plus juste, le plus objectif possible par rapport à l’événement, ne pas prendre parti. Il n’y a même pas besoin, c’est tellement flagrant, je ne vais pas insister, moi dans mon film, avec ma mise en scène, pour dire que les terroristes sont les méchants, ça coule de source. »

Dans quelle mesure êtes-vous parti du livre ?

'L'Assaut'
« En fait je n’ai lu le livre qu’une seule fois. Le travail avec Simon Montaïrou, mon co-scénariste, ça a été, comme le votre, un travail de journaliste. Pendant six, huit mois, on est parti à la rencontre de tous les gens qui ont vécu l’événement en direct : que ce soit des otages, les membres du GIGN, le commandant de bord… »

Quel regard portent-ils sur l’événement aujourd’hui ? Etaient-ils capables d’en parler ?

« Parfois c’était compliqué. C’était plus facile du côté du GIGN, car c’est une troupe, une cellule où ils restent groupés. C’était plus compliqué avec le commandant de bord, avec certains otages, parce que c’était une expérience traumatisante : cinquante-quatre heures de prise d’otage, avec trois otages tués à Alger, c’était difficile. Je leur ai expliqué quel film je voulais faire et c’est pour cela qu’ils sont tous venus. Personne ne l’a pris comme une thérapie, mais ils étaient tous contents. C’était très poignant car sur le tournage, des gens qui se sont croisés quelques secondes sous un enfer de feu, ils ne se connaissent pas, ils ne se sont jamais rencontrés, se sont retrouvés autour d’une caméra, autour d’un acteur, d’un réalisateur. C’était très touchant. Il y avait des otages qui avaient vingt ans à l’époque, et Yasmina qui m’a beaucoup aidé, qui m’a inspiré le personnage : on l’a vraiment demandé en mariage, elle m’a raconté tout ça, donc tout ce qui est dans le film est vrai. Et Yasmina était tous les jours avec nous, elle parlait aux acteurs, aux figurants… Cela nous donnait à tous, et à moi évidemment en tant que metteur en scène, et à toute l’équipe, une vraie conviction qu’il fallait aller jusqu’au bout, faire le job et raconter cette histoire. »

Est-ce que le commandant de bord a pu reprendre son travail après ?

« Je sais qu’il a revolé pendant un temps et qu’après il est parti en retraite. Je sais que c’était assez compliqué pour lui. »

Et le deuxième pilote ?

« Le deuxième non… Il n’a pas retravaillé. Il y a des stewards qui n’ont jamais pu retravailler ou quoi que ce soit. Ce sont de vrais traumatismes. »

Avez-vous rencontré Thierry aussi ?

« Bien sûr. Thierry je le côtoie, on se parle une fois par mois, encore maintenant. »

'L'Assaut'
A la fin du film vous précisez que la République française ne lui a jamais accordé son grade de major. Que s’est-il passé ?

« On est en décembre 1994, six mois plus tard ce sont les élections présidentielles où il y a un changement de bord : donc les promesses qui ont été faites à Thierry sur son lit d’hôpital n’ont pas été tenues. Je trouve ça difficile, dommage, dur. Quand on sait ce qu’il a donné dans sa chair, il a été jusqu’au bout pour libérer ces gens. Je me sentais obligé de mettre le carton final, pour lui, je trouve ça normal. »

Dans le film on voit aussi sa famille, sa femme, sa petite fille. La manière dont elles vivent cet évènement est très touchante. Vous les avez rencontrés aussi ?

« Oui, j’ai passé énormément de temps dans la caserne où il y a toutes ces familles, tout ces enfants de gendarmes. C’était aussi important pour eux aussi, pour moi dans la dramaturgie du film, pour eux de se reconnaître. Ils ont un rôle très difficile : de soutien, et surtout la difficulté comme on le voit dans le film, c’est qu’à l’époque il n’y a pas de téléphones portables, de textos, donc les gens avaient une certaine tranquillité, ce qui maintenait le couple : les épouses des gendarmes ne savaient pas vraiment la dangerosité des choses, sauf que là elles sont spectatrices comme tout le monde et elles se prennent les images avec une violence inouïe. Surtout en direct à la télé, des journalistes ont meublé en disant n’importe quoi : qu’il y avait vingt morts, qu’il y avait une chapelle ardente qui avait été édifiée… Pour le coup, elles se prennent en pleine face la dangerosité du métier de leurs époux. C’était très dur psychologiquement pour elles. »

Pour les besoins du tournage, vous avez acheté un avion ?

'L'Assaut'
« Oui, car bizarrement ça coûtait trop cher et c’était trop compliqué d’en fabriquer un en studio et il y avait exactement le même avion, un Airbus A330, qui était à Bordeaux, prêt à être découpé en mille morceaux. Je l’ai racheté et on l’a fait convoyer de Bordeaux à Paris. Tout ça est dans le ‘making-of’, je suppose qu’on peut le voir sur internet. C’était très intéressant et amusant. »

Et vous avez filmé avec de vrais membres de ce corps d’élite GIGN. Comment ça s’est passé ? Et comment Vincent Elbaz s’est-il préparé au rôle de Thierry, de ce soldat qui mène l’unité ?

« Ce qui a été génial pour Vincent, c’était toute la partie entraînement. Quand on est acteur, même si ce sont toujours des armes avec des balles à blanc, il y a quand même un protocole de sécurité. Sauf que là, Vincent, quand il a commencé son entraînement, on lui a donné une arme chargée et on lui a dit ‘tu es responsable’. Ça lui a donné une responsabilité, je lui ai dit que j’étais aussi le producteur du film, donc que s’il se tirait une balle dans le pied, j’arrêtais le film. Il m’a dit qu’il ferait attention et qu’il était super emballé parce que ça n’arrive sûrement qu’une fois, en tant qu’acteur, de suivre ces gens là, d’être proche. Je sais qu’il est devenu ami avec quelques membres du GIGN, ils se revoient régulièrement. J’ai compris des choses : quand on voit arriver trente mecs comme ça, soudés, en face il n’y a aucune chance. Et ce sont des gens vraiment intelligents. Je dis à chaque fois que ce sont les vrais chevaliers d’aujourd’hui. Ce ne sont pas des gens pro-militaires, ils ont une vraie vision de la vie et ils se mettent au service de la vie. Ils ne travaillent pas pour l’argent, ils ont des salaires de gendarmes qui ne sont pas très élevés comparés aux risques humains qu’il peut y avoir en face. Je trouve cela noble et beau, de donner dix, quinze années de sa vie à cette action. »

Et les acteurs qui jouent les quatre terroristes, comment les avez-vous trouvés ?

'L'Assaut'
« On a fait un gros casting : j’ai rencontré une centaine de jeunes acteurs avec un bon niveau. On a fait des lectures, on a fait des répétitions. J’avais un coach, puisque ces jeunes terroristes venaient de la banlieue nord d’Alger, je voulais vraiment qu’ils aient l’accent algérois, et c’est vrai que sur les quatre acteurs, j’ai un Algérien, deux Marocains, un Tunisien. C’est génial, ils ont bossé, Aymen Saïdi est nommé aux Césars en France, ce sont des vrais acteurs, ils ont vraiment donné, travaillé. Ils ne se sont jamais posés de questions, et ce n’est pas évident dans un cockpit car on est sept, on est en gros plan, il faut décharger tout ça sur très peu d’espace. Je suis très fier de ce qu’ils ont fait. »

Julien Leclerc est actuellement en préparation d’un nouveau film, écrit par Abdel Raouf Dafri et basé sur l’histoire vraie d’un infiltré dans le milieu des narcotrafiquants.