Jarmila Mucha Plocková renoue avec le passé au Centre tchèque à Paris (1ère partie)

Photo: TV Nova / YouTube

« Pour la Tchécoslovaquie – Hommage à un pays inexistant ». Tel est le nom de l’exposition présentée actuellement au Centre tchèque à Paris, et où Jarmila Mucha Plocková dévoile, entre autres, ses créations de bijoux uniques, dont une partie est inspirée des œuvres de son grand-père, Alphonse Mucha. Si ce nom de famille connu a parfois été un fardeau pour la créatrice, Jarmila Mucha Plocková a confié au micro de Radio Prague, qu’il a été néanmoins aussi le déclencheur d’une autre vie artistique. Jarmila Mucha Plocková a évoqué à la fois ses sources d’inspirations, son lien avec la France mais aussi le respect qu’elle a envers le nom Mucha, un nom pour lequel elle s’est battu pendant dix-sept années durant devant la justice. Nous vous présentons la première partie de cet entretien réalisé au centre de Prague, pas loin de-là où se trouve notamment la petite boutique de la créatrice.

« Pour la Tchécoslovaquie – Hommage à un pays inexistant » présente différentes œuvres d’artistes tchèques ayant vécu en France ou à Paris, la Mecque de l’art, passant par Jan Zrzavý, František Kupka ou aussi Alphonse Mucha. La petite-fille de ce dernier, Jarmila Mucha Plocková, a hérité du talent de son grand-père, et s’est consacrée avec le temps à la création de différents objets artistiques et bijoux. Ouverte au Centre tchèque à Paris jusqu’au 30 septembre, l’exposition rassemble des artistes ayant vécu au début du XXe siècle, mais Jarmila Mucha Plocková a été néanmoins invitée à y joindre ses œuvres, comme elle l’explique :

« Peu de temps avant le vernissage de l’exposition, j’ai reçu un mail de Jean-Gaspard Páleníček, qui m’a invitée à faire part de l’évènement. J’ai aussi compris cela comme un geste, dans le sens où je devais faire le pont entre l’histoire et l’actualité, en quelque sorte, vu que l’exposition commence par Alphonse Mucha et František Kupka, et puis moi d’un autre côté en tant que descendant d’Alphonse Mucha et seul artiste vivant de l’exposition. J’y ai un petit coin, car mes créations sont en trois dimensions. Sinon, on peut y voir des toiles, des œuvres graphiques ou aussi le buste de Tomáš Garrigue Masaryk, réalisé par Josef Mařatka. »

Paris, carrefour éternel de la création artistique

Jarmila Mucha Plocková,  photo: ČT24
En référence à son grand-père, qui a vécu et créé de nombreuses années à Paris, Jarmila Mucha Plocková a révélé quelles sont ses œuvres à elle que les visiteurs peuvent venir admirer au Centre tchèque :

« J’ai spécialement choisi l’ensemble d’œuvres lié au séjour d’Alphonse Mucha. Il s’agit principalement de bijoux, de verre peint, de verre dépoli, de verre gravé ou aussi de verre combiné avec le métal. Tous ces objets ont été créés selon des projets non réalisés d’Alphonse Mucha pour le recueil « Documents décoratifs », qui est un recueil de projets créé par l’artiste en 1902 à Paris. Il s’agit d’une sorte de mode d’emploi pour tous les métiers, il y a des meubles, du textile, du verre aussi. Ce sont des croquis (des esquisses) que j’ai retravaillés vers un modèle tridimensionnel, incorporé à un bijou ou à du verre. Puis il y a un deuxième volet d’inspiration pour cette exposition parisienne : la bijouterie Georges Fouquet. En fait, depuis l’exposition universelle de 1900, Alphonse Mucha coopérait avec l’un des plus célèbres joailliers de l’époque, Georges Fouquet, dont la bijouterie était initialement située rue Royale. Lorsqu’il a fait plus ample connaissance avec Mucha, il lui a demandé de concevoir sa nouvelle boutique. C’est une création architecturale, car Mucha y a réalisé à la fois l’intérieur, les meubles, ainsi que le portail d’entrée, les vitrines, les piédestaux pour les colliers, et même l’atelier. »

Avec le temps, cette bijouterie de renom avait été offerte dans son intégralité par la famille de Georges Fouquet au Musée Carnavalet de Paris. Alphonse Mucha ayant fait connaissance de sa femme Marie, précisément à Paris, Jarmila Mucha Plocková a également réalisé pour l’exposition les répliques simplifiées de la bague de fiançailles et du collier de mariage de sa grand-mère, à l’époque élève d’Alphonse. Dans ce sens, Jarmila Mucha Plocková a précisé qu’elle était le lien qu’elle entretenait elle-même avec la France, même si elle n’ose pas vraiment parler le français à l’heure actuelle :

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« Depuis mon enfance, la France, et spécialement Paris, a été pour moi un lieu très important. Parler le français était une évidence dans notre famille. Le père qui m’a éduquée était musicien et avait vécu un certain temps à Paris après la Seconde guerre mondiale. Puis évidemment, Jiří Mucha (père biologique de Jarmila Mucha Plocková, ndlr) y avait aussi son appartement, donc je me rendais sans cesse à Paris. Cela faisait partie de mon éducation. Cela fait partie de ma vie. »

Mariée à un Espagnol, Jarmila Mucha Plocková faisait souvent des allers-retours entre l’Espagne et la Tchécoslovaquie. Mais étant donné que la rédaction espagnole de la radio tchèque, dont le rédacteur en chef était le beau-père de Jarmila, était une des premières rédactions à protester contre l’occupation de la Tchécoslovaquie par les troupes du pacte de Varsovie, il a rapidement été licencié. Les choses devenant de plus en plus compliquées dans une Tchécoslovaquie sous l’emprise communiste, Jarmila Mucha Plocková a émigré avec sa famille en 1981 en Espagne, où elle vécut douze ans. Une période qui l’a façonnée à sa manière :

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« Cela m’a tout d’abord donné un autre point de vue et une certaine indépendance, vu que j’avais quitté ma famille tchèque. Personne ne m’aidait, personne n’était à portée de main. J’ai dû me frayer mon passage moi-même. C’est peut-être grâce à cette expérience que dès mon retour à Prague en 1992, j’ai lancé mon propre atelier. Et c’est aussi avec ce même acharnement, que j’ai par la suite défendu mes droits devant les tribunaux. Je crois que c’est bien ce que m’ont donné ces douze ans à l’étranger. Car cela n’a pas été simple, être confronté à une autre langue, à une autre culture. Je suis vraiment reconnaissante pour cet autre point de vue, cette indépendance et d’avoir acquis une certaine maturité. »

Faire fusionner le passé avec le présent

En Espagne, Jarmila Mucha Plocková a participé à l’achèvement du Musée Joan Miró, ainsi qu’à la construction de bâtiments pour les Jeux Olympiques d’été à Barcelone en 1992, ou celle du Palais municipal à Madrid. Même si Jarmila était avant tout architecte, elle s’est également lancée dans le dessin, et, remarquant son talent, son père Jiří Mucha lui a demandé de perpétrer le legs artistique d’Alphonse Mucha à l’aide de ses modèles et esquisses. Si elle a ainsi été initiée très tôt au fondement même du travail de son grand-père, Jarmila Mucha Plocková a néanmoins senti le besoin de trouver sa propre voie :

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« Après un certain temps, j’ai dû complètement m’éloigner d’Alphonse Mucha et suivre mon propre chemin. Il est vrai que j’ai beaucoup appris à travers le travail effectué sur la base de ses motifs. J’ai dû aussi beaucoup lire sur la création de bijoux et sur l’art de l’époque de l’Art Nouveau. Et j’ai commencé à prendre du plaisir à travailler mes propres créations, ce qui devait bien évidemment arriver. Mais j’utilise toujours un lien subtil en référence à l’époque de mon grand-père. J’introduis de fins motifs et des détails de l’Art nouveau dans des objets et des bijoux de notre époque. C’est ce qui me plaît le plus. C’est ça l’histoire de mon travail : je renoue avec les anciennes créations, mais je ne les copie plus. Je combine le passé avec le présent. »

De retour à Prague en 1992, Jarmila Mucha Plocková a profité d’un marché tchécoslovaque en plein réveil, mais somnolent, afin d’ouvrir son propre atelier.

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« Déjà lorsque je vivais en Espagne, je coopérais avec mon père, Jiří Mucha. Nous avons signé un contrat en 1988 avec une grande société aux Etats-Unis, la « Circle fine art corporation », qui possédait une quarantaine de galeries. Tous les mois, je leur fournissais différentes esquisses de bijoux, de montres ou de vases, tout en continuant parallèlement l’architecture. Mais Jiří Mucha est décédé en 1991. Il était la troisième partie à ce contrat américain, et l’accord n’a pas été renouvelé, d’autant plus que la question de l’héritage commençait à faire irruption. Au même moment, ma maman était tombée malade, donc je suis rentrée à Prague. Mais vu que j’avais déjà depuis beaucoup appris sur la fabrication des bijoux, il me paraissait logique de continuer dans ce domaine. En fait, je voulais aussi que personne ne me devance. C’était également le souhait de mon père que je continue. Car c’est quand même bien lui qui m’a initié à ce travail. C’est grâce à lui. Je trouvais dommage qu’une autre personne puisse prendre cela en main. J’ai alors déposé ma marque et j’ai commencé à créer des bijoux et des verres selon les esquisses des « Documents décoratifs » de Mucha. Ça a commencé comme cela. A l’époque, c’était très propice, car personne ne s’était lancé là-dedans. Mucha était protégé par les droits d’auteur, personne ne pouvait les user à mauvais escient. Pas comme maintenant, où Mucha est une marque libre. Mais à l’époque, j’étais toute seule à faire ces créations. C’était vraiment le début. Et avec la transformation des entreprises publiques en entreprises privées, il était facile de trouver de bons artisans. C’était une époque tout à fait propice pour fonder un atelier. »

Toutefois, les péripéties entourant l’utilisation du nom « Mucha », ont valu à Jarmila Mucha Plocková dix-sept années de calvaire judiciaire. Et c’est aussi ces incidences liées à ce nom mondialement connu, mais pas que, que nous allons évoquer prochainement dans la deuxième partie de notre entretien dans « Culture sans frontières ».

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