Film documentaire : les productions tchèque et internationale à l'honneur à Jihlava

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Retour à Jihlava où s’est déroulée toute une semaine le mois dernier la 16e édition du Festival international du film documentaire. Cet évènement, le plus important de ce type en Europe centrale, a une nouvelle fois conquis un large public venu au cœur de la République tchèque découvrir une riche production nationale avec la section du « Plaisir tchèque » qui a vu être récompensé le film Pevnost, une plongée au cœur de la Transnistrie, et internationale avec la section Opus Bonum, où le document américano-japonais Kuichisan, une exploration poétique de l’île d’Okinawa, a tiré son épingle du jeu. Radio Prague était présent le temps d’un week-end où la neige a contraint les spectateurs à se réfugier dans les salles obscures ; mais ils étaient là pour ça.

Dimanche matin, le brouhaha d’une foule sortant de la projection d’un film argentin sur une Sud-Coréenne ayant milité pour la réunification des deux Corées. Bien que le festival touche à sa fin, on se presse encore au sein de la Maison de la Culture, un ancien bâtiment d’architecture communiste, où deux salles de cinéma, l’une improvisée, en font l’un des lieux majeurs du Festival international du film documentaire de Jihlava. A l’étage, on croise quelques têtes connues du Cafe V Lese, un charmant café pragois qui assure le temps d’une semaine le manger et le boire de certains festivaliers. On s’y presse également, car, depuis la veille, la neige s’est abattue sur la petite ville de 50 000 habitants et il ne fait pas bon traîner dans ses rues froides et humides. A la Maison de la Culture, s’activent aussi toute une série de bénévoles, sans lesquels le festival ne pourrait pas avoir lieu. Nela Matušková, étudiante à Jihlava, est une de ces personnes. Elle nous relate son expérience :

« J’étais vendeuse à la Galerie régionale de Vysočina pour la boutique du festival et je n’ai eu que de bonnes expériences. Les gens font des rencontres en anglais, dans des langues étrangères… Parfois, les relais entre bénévoles étaient un peu long mais c’était très bien, je n’ai pas à me plaindre. Je me suis proposée au dernier moment, sans doute une semaine avant le début du festival, car ils cherchaient encore des bénévoles. Donc je me suis inscrite et très vite j’ai reçu un mail de confirmation. C’est super, il y a vraiment une très bonne équipe ici. »

Photo: MFDF Jihlava
Les bénévoles ont aussi pu profiter du festival et assister à quelques-uns des 177 films venus de 44 pays qui y ont été projetés, certains en compétition dans les sections Opus Bonum pour les documentaires internationaux, Mezi Moři (Entre les mers) pour les œuvres venus d’Europe centrale et de l’Est, Česka radost (Plaisir tchèque) pour la production nationale et Fascinace pour les courts-métrages et autres documents expérimentaux. Il y en avait pour tous les goûts et à toute heure, et Nela Matušková n’a peut-être pas pu apprécier à leur juste valeur tous les films qu’elle a vus :

« En fait, nous avons reçu une accréditation et même une seconde gratuitement. Donc à la fin de notre service, nous avions la possibilité d’aller voir des films. J’ai par exemple été au DIOD, le Théâtre aux portes ouvertes, l’un des lieux de projection. Hier, j’ai vu le film Kuichisan mais il était plus de minuit et je me suis un peu endormie… »

'Kuichisan',  photo: MFDF Jihlava
Le film américano-japonais Kuichisan de Maiko Endo s’est pourtant vu décerner le prix Opus Bonum par le réalisateur et producteur belge Xavier Christiaens, seul et unique jury de cette section. Le documentaire récompensé suit les traces, au moyen d’une caméra 16mm, d’un petit garçon sur l’île d’Okinawa, une île qui a scellé l’histoire commune du Japon et des Etats-Unis.

La catégorie de films qui était la plus attendue est sans doute celle consacrée à la production tchèque et les films en compétition étaient plutôt alléchants tant par la variété et l’originalité des sujets traités que par le talent de leurs auteurs. C’est le film Pevnost - ‘la forteresse’ en français – qui a été honoré par le jury lors de la remise des prix, samedi soir. Il s’agit d’une visite en Transnistrie, un Etat non-reconnu par la communauté internationale, situé entre la Moldavie qui en revendique le territoire, et l’Ukraine. Lukáš Kokeš, jeune réalisateur issu de la FAMU, la prestigieuse école de cinéma pragoise, est, avec Klára Tasovská, l’auteur de ce film. On l’écoute :

'Pevnost',  photo: MFDF Jihlava
« Dans ce pays, il y a l’influence de la Russie mais également de l’Union européenne et ils ne savent pas vraiment vers qui se tourner. Vous avez un peu le sentiment d’un retour de vingt ans en arrière en Tchécoslovaquie. En prenant la perspective des gens ordinaires, vous avez la possibilité, à travers le film, d’expérimenter ce sentiment d’être perdu dans le temps et dans l’espace. »

Un film qui n’a pas été facile à réaliser dans un des pays les plus coupés au monde :

« En tant que journaliste étranger, vous avez besoin d’une accréditation donc nous l’avons demandée auprès du ministère de l’Information mais on ne nous l’a pas accordé. Nous avons donc travaillé, disons-le, illégalement. »

Vojtěch Jasný,  photo: MFDF Jihlava
Avant cette cérémonie de clôture du festival, le réalisateur Vojtěch Jasný, invité surprise de cette édition, a été récompensé pour l’ensemble de son œuvre. Cinéaste majeur de la Nouvelle vague tchèque avec des films comme « Un jour, un chat » ou « Chronique morave », l’homme âgé de 86 ans était visiblement très ému :

« Il s’agit d’une grande joie, c’est tout. J’aime ce festival et je reviendrai aussi longtemps que je vivrai. »

Le jury « Česká radost » a également décerné un prix spécial à deux films. Il s’agit tout d’abord de Dva nula (Deux zéro) de Pavel Abrahám qui s’intéresse au derby bouillant de la capitale, qui oppose le Sparta au Slavia, mais en filmant uniquement les supporters, et du film Hra o kámen du jeune cinéaste Jan Gebert qui porte sur une bataille politique autour de l’érection d’un monument dédié à des victimes allemandes d'exactions commises en représailles par des Tchèques à la fin de la Seconde guerre mondiale dans un petit village des Sudètes.

Toujours dans le cadre de cette production nationale, on attendait beaucoup du nouveau documentaire de la paire constitué de Vít Klusák et Filip Remunda. Ils se sont rendus célèbres pour leur film de fin d’étude Český sen (Le rêve tchèque), une intense campagne de promotion pour un supermarché inexistant pour illustrer la société d’hyperconsommation qu’est devenue la République tchèque. Leur deuxième production, Český mír (La paix tchèque), sur la lutte contre l’installation d’un radar américain en Bohême de l’Ouest, était moins aboutie. Ils présentaient à Jihlava un film encore susceptible d’évoluer puisqu’il traite de Roman Smetana, cet ancien chauffeur de bus à Olomouc, condamné à la prison pour avoir ridiculisé des politiciens en taguant des affiches électorales. Le film s’appelle Svobodu pro Smetanu !, (Liberté pour Smetana !) et il était très difficile de le voir :

'Svobodu pro Smetanu!',  photo: MFDF Jihlava
« Je voulais aller assister au nouveau film de Klusák et Remunda mais il n’y avait aucun espoir dans une salle pleine à craquer donc je ne l’ai pas vu. »

Comme beaucoup, elle a en revanche beaucoup apprécié le film de la cinéaste expérimentée Olga Sommerová. Intitulé Věra 68, il rend hommage à Věra Čáslavská, comme a déjà maintes fois pu le faire Radio Prague, pour une athlète septuple championne olympique. Le directeur du festival Marek Hovorka n’avait ainsi pas de peine à vanter les mérites des films projetés :

Marek Hovorka,  photo: MFDF Jihlava
« Les auteurs ont réussi à traiter des thèmes sur lesquels beaucoup de gens savent peu de choses mais ils les ont abordés d’une façon peu habituelle. Ce langage cinématographique est celui que l’on retrouve en ce moment dans le monde chez les cinéastes les plus importants. »

Outre les films en compétition, le programme libre était relativement intéressant, articulé autour de plusieurs rétrospectives telles que celle consacrer au réalisateur français Chris Marker, décédé en juillet dernier, et de thématiques variées, dont l’une consacrées à la Corée du Nord. Les programmateurs se sont en effet rendu compte qu’en seize éditions, ils n’avaient jamais proposé de films nord-coréens. Erreur reconnue et réparée avec cette ouverture sous l’angle du documentaire d’un pays très caricaturé mais peu connu.

'Le Serment de Tobrouk',  photo: MFDF Jihlava
Une autre section, « L’homme révolté », s’attardait sur des films engagés, notamment dans les pays du sud de l’Europe, en Grèce et en Espagne, où les peuples luttent contre les mesures d’austérité qu’on leur impose pour sauver les banques et rassurer les marchés, ou encore en Islande, pays qui semble engagé dans une autre voix après avoir justement refusé de rembourser la faillite de quelques banques. Il était toutefois étonnant de voir programmé le film du très médiatique et narcissique Bernard-Henri Lévy, Le Serment de Tobrouk, qui relate ses nombreux exploits en Libye. Cet objet filmique très critiqué était cependant à l’affiche le dimanche après-midi, et a donc disposé d’une visibilité réduite.

Difficile enfin d’évoquer en détails la richesse du programme extra-cinématographique, incluant la conférence du prix Nobel de littérature Gao Xingjian, celle du mouvement féministe Femen, des expositions ou de nombreux concerts. Il est ainsi possible de passer toute une semaine à Jihlava sans voir un seul film, mais c’est dommage.