Lída Baarová, une actrice adulée et détestée

Lída Baarová

Il y a dix ans, le 27 octobre 2000, disparaissait à Salzbourg l’actrice tchèque Lída Baarová. Elle avait 86 ans. D’une beauté époustouflante et particulièrement douée en langues étrangères, elle reste l’une des rares vedettes du cinéma tchèque à s’être construit une carrière internationale. Ce succès européen a néanmoins eu un côté sombre : la grande vedette du film tchèque et allemand de l’entre-deux-guerres a eu une relation amoureuse avec Joseph Goebbels, ministre de la Propagande sous le Troisième Reich. Accusée de haute trahison après la guerre, Lída Baarová a été emprisonnée pendant plus d’un an et s’est ensuite exilée en Autriche. Le contact avec le public tchèque, avec ses collègues, avec son pays natal ne se rétablira plus jamais : les plaies resteront ouvertes des deux côtés... Le nouveau livre sur Lída Baarová qui vient d’être publié par Ondřej Suchý tourne autour de la même question que de nombreux autres ouvrages sur l’actrice : qui était, en fait, Lída Baarová ? Victime de ses propres ambitions ou victime de l’époque ?

Lída Baarová, de son vrai nom Ludmila Babková, est née le 7 septembre 1914 dans la famille d’un fonctionnaire de la municipalité de Prague. Elle a une sœur, Zorka, qui deviendra elle aussi comédienne. Lída Baarová fait ses études d’abord au lycée et ensuite au conservatoire de Prague. En 1931, à l’âge de 17 ans, elle passe secrètement le casting pour son premier film, intitulé « La carrière de Pavel Čamrda », secrètement, car tourner des films était interdit aux élèves du conservatoire. Ce film est un succès et Lída Baarová devient très recherchée par les cinéastes : de 1931 à 1941, elle va jouer précisément dans 31 films tchécoslovaques et travailler avec les plus grands réalisateurs de l’époque. Elle se lie d’amitié avec le propriétaire des studios de cinéma de Barrandov, Miloš Havel, l’oncle de Václav Havel. Le réalisateur Karel Anton emmène Lída Baarová à Paris, où elle vit une courte histoire d’amour avec Charles Boyer… Elle impressionne tout le monde par son physique, plus beau encore, paraît-il, quand elle n’était pas maquillée : par ses yeux noirs en amande, ses pommettes hautes, sa peau magnifique. Le réalisateur Otakar Vávra se souvient, dans un livre qui lui est consacré :

« Elle était vraiment la plus belle de toutes. Mais sa beauté n’était pas froide. Elle avait un charme très féminin, sensuel… »

L’année 1934 marque un tournant dans sa carrière : Lída Baarová est engagée par le célèbre studio allemand, l’UFA. Elle tient le rôle principal féminin dans le film « Barkarole », le rôle de la femme la plus belle de Venise. Choyée par le public allemand et appréciée par la critique, Lída Baarová devient, à vingt ans, une star internationale…

« Une pomme au petit-déjeuner, ensuite quatre heures d’allemand avec ma professeur, madame Hahne, une pomme au déjeuner…J’étais au régime, les producteurs allemands ont trouvé que j’avais des formes avantageuses, pour ainsi dire… »

C’est ainsi que Lída Baarová a décrit ses préparatifs pour le tournage du film « Barkarole ». En trois semaines, elle se perfectionne à tel point qu’elle n’a plus d’accent en allemand - ce talent pour l’apprentissage des langues étrangères, Lída Baarová le confirmera plusieurs fois au cours de sa vie, lorsqu’elle jouera, avec la même aisance, dans des films italiens et espagnols. Après la sortie de « Barkarole », l’actrice signe un contrat avec l’UFA qui lui permettra de jouer, jusqu’au début de la Deuxième Guerre mondiale, dans une dizaine de films allemands. Un détail encore : sur le tournage de « Barkarole », elle fait connaissance de la grande star du cinéma allemand, le charmant Gustav Frölich. Ils formeront un couple à l’écran et dans la vie.

Lída Baarová et Joseph Goebbels  (vis-à-vis)
Dans la deuxième moitié des années 1930, un autre homme entre dans la vie de Lída Baarová : Joseph Goebbels, ministre de la Propagande de 1933 à 1945, un des hommes les plus influents de l’Allemagne nazie, très proche de Führer. Il a dix-sept ans de plus que « Liduschka », il est marié, il a des enfants. Il est petit, il a une jambe déformée, mais il a, semble-t-il, du charisme, il joue très bien du piano, il sait captiver les gens... y compris la belle actrice tchèque, dont il tombe amoureux. Ils se côtoient pendant deux ans, de 1936 à 1938. Pendant cette période, les studios hollywoodiens lui proposent un contrat pour sept ans. Baarová hésite, puis refuse - décision qu’elle regrettera jusqu’à la fin de ses jours. Goebbels veut divorcer, leur relation devient une affaire d’état, affaire qui aurait probablement été réglée par Adolf Hitler en personne. Résultat : Lída Baarová devient personna non grata en Allemagne, elle ne peut plus y tourner, elle ne peut même pas apparaître en public. L’actrice se réfugie à Prague, où elle fait du théâtre et où elle repérée par Vittorio de Sica. Grâce à lui, Lída Baarová peut tourner, pendant la guerre, sept films à Rome.

Après la Libération, Lída Baarová connaît le même sort que de nombreuses personnalités culturelles tchèques et slovaques, accusées, dans un esprit de vengeance et de haine, de collaboration avec les nazis. Elle est incarcérée, pendant seize mois, à la prison pragoise de Pankrác, puis elle s’exile, dans des conditions assez dramatiques, en Autriche. Sa villa pragoise est confisquée, son père doit déménager du jour au lendemain. Jusqu’à la fin des années 1950, Lída Baarová a joué au théâtre et tourné des films en Italie et en Espagne, films, hélas, absolument inconnus du public tchèque, à une exception près : en 2009 est sorti en DVD le long-métrage « I vitelloni » (Les Inutiles), datant de 1953, où Lída Baarová a été dirigée par Federico Fellini.

Après la révolution de velours, Lída Baarová a effectué quelques courts séjours en République tchèque. Elle craignait d’être mal accueillie par ses compatriotes, mais au contraire, une foule énorme est venue à la soirée de dédicace de ses Mémoires. Son nom a fonctionné et fonctionne toujours comme un aimant : l’année dernière, un autre livre de ses souvenirs, rédigé dans les années 1980, au Canada, par l’écrivain Josef Škvorecký, a été édité pour la première fois en République tchèque... et ça été un best-seller.

Pourtant, la vie de la star tchèque ne s’est pas terminée par un happy-end. Lída Baarová a passé ses dernières années dans la solitude, hantée par les fantômes de son passé, nostalgique de son pays, sombrant dans l’alcool... Pas un seul représentant officiel de l’Etat tchèque n’est venu à ses obsèques à Prague.

L’incroyable destin de Lída Baarová ainsi que son charisme et l’attrait de sa personnalité ont toujours intrigué les écrivains, les journalistes, les cinéastes... Certains ont réussi à entrer en contact avec elle, venaient la voir à Salzbourg, discutaient avec elle, cherchaient à comprendre sa relation fatale avec Goebbels, entourée, aujourd’hui encore, de mystère. L’un d’entre eux, le journaliste Stanislav Motl, écrit dans un de ses livres consacrés à l’actrice :

« Lída Baarová me disait : ‘il est tombé éperdument, follement amoureux de moi’. Mais elle soulignait à chaque fois que de son côté, ce n’était pas un vrai amour. Mais ses confessions ont été assez contradictoires, au cours de nos rencontres, elle m’a sorti plusieurs versions de sa relation avec Goebbels. Peu à peu, j’ai commencé à éviter ce sujet délicat. Sincèrement, j’avais pitié d’elle… Le moindre souvenir de Goebbels troublait énormément Lída Baarová. Une fois, elle me disait avoir peur de lui. Une autre fois, elle me confiait avoir été amoureuse de son amour. »

Voici l’opinion de l’écrivain Ondřej Suchý qui vient de sortir le livre intitulé « Les trois vies de Lída Baarová » :

Ondřej Suchý
« Pendant toute sa vie, Lída Baarová s’est défendue. Ce qui était, dans une certaine mesure, juste. Quand elle a rencontré Goebbels, elle avait 23 ans. Alors on peut très bien imaginer ce que cela peut faire avec une jeune femme, célibataire, qui fait en plus une telle carrière… N’oublions pas non plus que cette liaison avec Goebbels a eu lieu avant la guerre. Bien sûr que cet épisode a dramatiquement influencé toute sa vie, celle de sa famille aussi. Sa sœur s’est suicidée, sa mère est morte d’une crise cardiaque suite à un interrogatoire à la police, son père a été gravement malade. Mais je crois que son vrai problème était ailleurs : dans les livres, elle présentait la réalité à chaque fois un peu différemment. Parfois, ces différences sont très flagrantes ! Elle ne se souvenait pas exactement de ce qu’elle avait raconté à tel ou tel interlocuteur. Cela a fait douter de ses propos. C’est pour cela que les gens, notamment les journalistes revenaient sur ce sujet, insistaient pour qu’elle s’explique, ce qui la fatiguait… Mais ils l’ont fait parce que Lída Barová a toujours été mystérieuse à ce propos. Si, une fois dans un pays libre, elle avait ouvertement parlé de ce qui s’était passé entre elle et Goebbels, qu’est-ce qu’on aurait pu lui reprocher ? »

Lída Baarová
Dans son livre, Ondřej Suchý a recueilli les témoignages et souvenirs des amis, des proches, des collègues de Lída Baarová. Il donne aussi la parole à la jeune génération qui s’intéresse à sa filmographie plutôt qu’à la vie sentimentale de l’actrice. Il interroge le réalisateur Filip Renč qui rêve de porter la vie de Baarová à l’écran. Curieusement, le projet (Renč envisage une grande production tchéco-allemande) a du mal à se réaliser, faute de moyens financiers. Comme si une certaine malchance poursuivait Lída Baarová même après sa mort…