Kateřina Srbková : « Il faut avoir le courage d’avoir peur »

Kateřina Srbková

Kateřina Srbková est sociologue et journaliste tchèque installée depuis quatre ans à Paris. C’est dans la capitale française, à l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales qu’elle a achevé ses études axées sur la sociologie des religions. Invitée de ce magazine, Kateřina Srbková nous fait part de son expérience de jeune Tchèque en France et nous donne son point de vue sur la vie spirituelle dans les deux pays.

Kateřina Srbková
Kateřina Srbková, comment et pourquoi avez-vous appris le français ?

« Ma famille n’a aucun lien avec la France, personne ne parle français. Mon intérêt pour la France est né quand j’étais petite. Je me souviens avoir regardé à la télé ‘Les clés de Fort Boyard’. A l’époque, on était tous accros à ce jeu ! (rires) Je regardais chaque émission à plusieurs reprises et je rêvais d’apprendre le français. Mais mes parents ont considéré l’anglais comme plus important et, finalement, je n’ai commencé à apprendre le français qu’au lycée. »

En poursuivant vos études supérieures de sociologie à Paris, vous avez consacré votre mémoire de masters à la communauté œcuménique de Taizé. En 2010, vous aviez d’ailleurs parlé de ce travail sur les ondes de Radio Prague. Quand vous êtes-vous rendue pour la première fois à Taizé ?

Photo: Taizé
« Je m’y suis rendue pour la première fois quand j’étudiais la sociologie à Prague. Mais j’avais entendu parler de Taizé plus tôt, encore quand j’étais au lycée. Je voulais toujours y aller, mais, à chaque fois, il y avait un empêchement. Dès mon premier séjour à Taizé, quand j’avais vingt ans, l’idée m’est venue de réaliser un travail de recherche sur cette communauté. A la faculté à Prague, j’ai alors rédigé mon mémoire de licence sur Taizé. C’était une étude plutôt générale. Ensuite, à l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, ma directrice m’a proposé d’examiner le charisme de Frère Roger. Mon second travail de recherche était alors basé sur les témoignages de personnes qui entouraient Frère Roger. Par conséquent, mes visites à Taizé ont été à chaque fois assez différentes. Au début, je me suis concentrée sur les visiteurs de ce lieu. Je voulais savoir qui sont ces personnes. En travaillant sur mon mémoire de masters, j’ai pu profiter de mes nombreux séjours dans la région pour rencontrer des gens intéressants : des représentants des autorités locales, des personnalités religieuses, des amis de Frère Roger. Ces rencontres m’ont beaucoup enrichie. En tout, j’ai effectué cinq ou six séjours à Taizé. »

Vous souvenez-vous encore de votre première visite et de vos premières impressions ?

Photo: Taizé
« Je me souviens que nous y sommes arrivés un dimanche. J’ai eu l’impression de me retrouver dans un lieu énorme, au milieu d’une foule de gens. A Taizé, le programme commence le lundi, nous ne savions donc pas très bien quoi faire et personne ne s’occupait de nous. Ensuite, j’ai passé beaucoup de temps à parler avec les autres jeunes gens venus du monde entier. C’était une très belle expérience, tant au niveau des rencontres qu’au niveau de la prière. Car, auparavant, je n’avais jamais vécu quelque chose d’aussi méditatif et d’aussi libre. Ces deux aspects très forts, l’humain et le spirituel, c’est ce que j’ai le plus apprécié de cette communauté. »

Quel a été votre chemin personnel vers la foi ?

« Je ne peux pas dire que je suis née catholique, mais petite, j’ai été baptisée. Une partie de ma famille est croyante, mais je dis bien une partie. J’ai alors été amenée à réfléchir. En grandissant, je me suis posée des questions… Aussi, le fait d’étudier les religions complique un peu les choses, car on change d’approche et on devient forcément plus critique. Evidemment, ma foi continue à évoluer, mais j’espère que, au fond, elle reste la même. »

La République tchèque est un pays très sécularisé. Selon vous, y a-t-il une différence entre la manière dont les Tchèques et les Français vivent leur foi au quotidien ?

« Je pense qu’il faut toujours se tourner vers l’histoire. Chacun de ces pays a des bases très différentes. A présent, le nombre de pratiquants (pour simplifier, je vais parler des catholiques) est comparable dans les deux pays. Je crois qu’en France, la tradition est plus ancrée dans l’esprit national, dans la pensée des gens. Elle est liée à la vieille bourgeoisie, à l’aristocratie française et à l’identité nationale. Ces derniers mois, j’ai assisté à plusieurs manifestations d’intégristes chrétiens. Voilà quelque chose qui pourrait difficilement exister en République tchèque. J’ai été surprise, voire choquée, de voir que l’on pouvait lier la foi à des valeurs nationalistes. La différence est peut-être là. Mais pas en ce qui concerne le nombre de croyants, qui est à peu près le même dans les deux pays, même si la République tchèque passe pour un pays agnostique. »

Quand vous assistez aux offices en France et en République tchèque, ressentez-vous une quelconque différence ?

« Je pense qu’en République tchèque, on reprend assez rapidement ce qui existe dans les autres pays. En France, j’ai remarqué une forte présence des communautés nouvelles, dont certaines se sont d’ailleurs installées aussi en République tchèque, par exemple Chemin Neuf ou les Béatitudes. La messe en France a un côté charismatique et les laïcs y participent beaucoup plus qu’en République tchèque. Ils organisent plein d’activités autour, des repas, des rencontres… J’ai l’impression que les Tchèques ne sont pas autant investis dans la vie de l’Eglise. »

La France, où vous vivez depuis plusieurs années, est un pays extrêmement riche en monuments religieux, en lieux de culte… Quels sont les sites où vous aimez vous rendre ?

Mont Saint-Michel
« Question difficile… Il y a tellement d’endroits que j’apprécie ! Même au-delà des monuments religieux. J’aime beaucoup Paris, avec tout ce qu’elle offre. Je pense évidemment au Mont Saint-Michel, où je ne suis allée qu’une seule fois, mais c’est si impressionnant… Il ne faut surtout pas que j’oublie les Iles de Lérins, où j’ai passé plusieurs fois mes vacances en tant que guide au monastère de l’île Saint-Honorat. Oui, ça serait peut-être mon endroit préféré : c’est un haut lieu de spiritualité, entouré d’une nature magnifique, comme un petit paradis. »

« Lorsque je faisais mes recherches sur la communauté de Taizé, j’ai voyagé dans la région et j’ai visité le Paray-le-Monial, un endroit de pèlerinage des communautés nouvelles, avec le monastère de la Visitation un lieu d’apparitions. J’y ai passé quelques jours à méditer et, pendant ce séjour, j’ai trouvé, un peu par hasard, un livre de Marie-Dominique Molinié qui s’intitule ‘Le courage d’avoir peur’. Ce livre m’a beaucoup marquée et j’ai eu le plaisir d’appendre qu’il avait été aussi traduit en tchèque. »

Le courage d’avoir peur... Peur de quoi ?

« Il faut le lire ! C’est un livre qui parle de la vie intérieure... Il serait dommage de simplifier son contenu en le résumant en une phrase. »

Vous-même, ressentez-vous souvent la peur ?

« Je pense que nous avons tous peur, mais souvent, nous ne le réalisons pas. Nous pouvons avoir peur d’être déçus, avoir peur d’être heureux... »

La foi vous aide-t-elle ?

« Oui, mais on ne peut pas dire non plus que la foi enlève toutes les difficultés. L’être humain est quand même très faible. Tous les jours, nous menons nos petits combats. Ce qui est beau, c’est de pouvoir se dire : même si j’ai commis encore une fois une erreur, je sais ce que jeu veux et... ce n’est pas grave. »