Karolína Světlá, femme de lettres du XIXe siècle

Karolína Světlá

Johanna Mužáková, née Rottová et connue sous le pseudonyme de Karolína Světlá. Elle s’est rendue célèbre dans la seconde moitié du XIXe siècle grâce à ses romans et à ses contes consacrés au milieu rural. Elle est aussi l’auteur de la nouvelle humoristique Le baiser (Hubička) qui a beaucoup plu à la librettiste, poète, écrivain, et traductrice Eliška Krasnohorská. Cette dernière utilisa la nouvelle pour écrire un livret pour Bedřich Smetana, qui composa sur à partir de ce texte son célèbre opéra Le baiser. La première de l’opéra a eu lieu au Théâtre national en 1876.

Née le 24 février 1830 à Prague dans une riche famille bourgeoise, Johanna Rottová est une enfant choyée qui ne manque de rien. Son père, en narrateur remarquable, raconte à sa fille beaucoup de contes et d’histoires, surtout sur le passé héroïque de la Bohême. Ces histoires écoutées dans sa plus tendre enfance deviendront plus tard une des sources d’inspiration des œuvres de Johanna qui écrira sous le pseudonyme de Karolína Světlá. Comme sa famille est très germanisée et parle surtout allemand, Johanna fait des études dans une école allemande. Là déjà elle a des dispositions littéraires et essaie d’écrire des contes. Son père, qui l’apprend par hasard, est loin d’être enchanté. Il estime qu’il vaut mieux retirer sa fille de l’école et la faire étudier à domicile. Johanna apprend en jeune fille de bonne famille le français, la couture et à jouer du piano. Mais c’est avec l’arrivée de son nouveau précepteur le professeur Petr Mužák que sa vie change. Grand patriote, ce dernier influence beaucoup la jeune fille et approfondit ses connaissances en littérature tchèque. Il l’introduit également au sein de la société patriotique praguoise et la présente à Božena Němcová, femme de lettres qui s’est déjà fait un nom dans le monde de la littérature. Božena Němcová impressionne beaucoup la jeune Johanna et les deux femmes deviennent amies. A l’époque Johanna ne se doute absolument pas qu’un jour elle deviendra aussi une femme écrivain célèbre.

La relation amicale entre Johanna Rottová et le professeur Mužák se développe en une relation beaucoup plus intime qui finalement aboutit au mariage. Bientôt Johanna accouche d’une ravissante petite fille appelée Božena, dont la marraine sera l’écrivain Božena Němcová. Malheureusement la petite fille meurt bien avant son premier anniversaire. Johanna n’arrive pas à assumer le décès de son enfant adorée. Elle est accablée et sombre dans le désespoir. Elle se met à écrire pour libérer son esprit, pour oublier. Pour lui changer les idées, le professeur Mužák l’emmène dans son village natal, Světlá pod Ještědem, situé sur un versant du mont Ještěd, en Bohême du nord. Johanna prendra le pseudonyme de Světlá d’après le nom de ce charmant village où elle passera régulièrement ses vacances. La nature vierge et rude a un effet revigorant sur l’esprit de la jeune femme. Sa douleur s’atténue, tout en restant pourtant enfouie quelque part au fond de son cœur. La beauté de cette région et le mode de vie de ses habitants deviendront une source d’inspiration pour ses romans, dont je citerais Un roman au village (Vesnický román), La croix près du torrent (Kříž u potoka) Feu Barbara (Nebožka Barbora) ou La demande en mariage (Námluvy). Ces deux derniers sont réunis dans l’œuvre Esquisses de Ještěd (Kresby z Ještědí).

Karolína Světlá publie sa première œuvre Le double éveil (Dvojí probuzení) en 1858. C’est à cette époque qu’elle fait la connaissance de l’étudiant Jan Neruda, futur grand poète tchèque et père du journalisme moderne en Bohême. Les deux êtres se lient d’une profonde amitié qui bientôt se transformera pour Jan Neruda en un amour aussi passionné que désespéré. Karolína Světlá ressent beaucoup de tendresse vis-à-vis du jeune poète, âgé de 24 ans, mais elle est mariée et en bonne épouse bourgeoise, elle ne veut pas tromper son mari, même si la vie du couple est loin d’être idéal. Ce sont deux caractères trop différents, le feu et la glace. Le professeur Mužák est plutôt un esprit cartésien, tandis que sa femme est un esprit rêveur, une âme d’artiste. « Le rouge et le noir, ne s’épousent-ils pas ? » comme disent les paroles de la chanson Ne me quitte pas de Jacques Brel. Leur relation est basée surtout sur un respect mutuel et malgré leur mentalité différente, les époux ne se sépareront jamais. Lorsque le mari de Karolína Světlá découvre la relation amicale entre le poète et son épouse à cause de lettres que les deux amis s’échangeaient, Karolína met un terme à sa relation avec Jan Neruda, même s’il ne s’agissait que d’une relation purement amicale.

Le monument de Karolína Světlá
Mais il est presque certain que si Karolína Světlá avait été moins conventionnelle, elle aurait certainement cédé à Jan Neruda. Dans les lettres qu’elle lui écrivait, on sent bien que le sentiment qu’elle ressentait envers le poète était de l’amour, dans sa forme la plus simple et la plus naturelle.

La célèbre femme de lettres Karolína Světlá fait partie des personnalités les plus remarquables de la littérature tchèque du XIXe siècle. Elle est décédée le 7 septembre 1899 à Prague.