Jiří Slavíček : « La vieille garde communiste tchécoslovaque était tellement appuyée sur le Mur qu’elle est tombée avec lui »

La chute du mur de Berlin, photo: CTK

Dans cette rubrique, un portrait un peu particulier puisque c’est le correspondant de Radio Prague à Paris, Jiří Slavíček que nous allons découvrir. L’occasion de convoquer ses souvenirs de novembre 1989. Vivant en France depuis 1968, il a travaillé à Radio France. Et les événements de 1989 ont été évidemment pour lui un moment marquant. Retour avec Jiří Slavíček sur la révolution de velours.

La chute du mur de Berlin,  photo: CTK
« Il faut regarder cet événement à plusieurs niveaux. D’abord ça a été un immense bonheur car on commençait à compter les heures jusqu’au moment où on pourrait revenir et revoir Prague. Cela paraissait bien compliqué encore. D’un autre côté, il y avait aussi une tristesse. Car, quand on regarde ça même avec les années de recul, nous étions pétrifiés. Comment se pouvait-il que la Tchécoslovaquie soit aussi en retard ? On n’était de loin pas les premiers. Je garde d’ailleurs précieusement à côté de mon lit, un cadeau d’un reporter de Radio France. J’étais au secrétariat de rédaction, et il m’a apporté un morceau du mur ! »

Du mur de Berlin qui lui, était tombé plus tôt...

« Oui. J’avais l’impression, une impression qui ne m’a pas quittée, que la vieille garde communiste tchécoslovaque s’abritait derrière ce mur. Ce n’est pas la révolution de velours qui a gagné mais ils étaient tellement appuyés sur le mur qu’ils sont tombés avec ! Les Polonais, les Hongrois et les citoyens des autres pays de l’Est avait trois ou quatre longueurs d’avance. Ici, c’était quelque chose de difficile. »

Quand ça a enfin commencé à bouger à Prague, vous souvenez-vous de ce que vous avez ressenti depuis Paris ?

« La radio publique française - et j’y étais un peu pour quelque chose, a très bien réagi plus tard, en diffusant la messe de minuit de Noël, en direct d’une petite église à côté du Pont Charles. Tout le monde était heureux et ravi. C’était la première messe de minuit de la fin de l’année 1989. Le prêtre servait la messe en tchèque et en français. C’était un français du lycée, oublié depuis longtemps, mais l’émotion était très forte. »

Vous avez passé une vingtaine d’années en exil en France. La première fois que vous êtes revenu en Tchécoslovaquie après la révolution de velours, quelles ont été vos impressions ?

« Je suis intimement persuadé que le plus grand révolutionnaire de l’histoire tchèque c’est le livre de cuisine de Dobromila Rettigova. Car quand on le lisait et qu’on comparait avec ce qu’il y avait dans les magasins, il apparaissait comme un livre de science-fiction ! Radio France nous a prêté un technicien hors pair, qui était maître dans l’ouverture des huîtres. On a réservé du vin blanc de Moravie. On s’est ouvert deux bourriches d’huîtres et on a fêté notre retour. Tous les gens de ma génération ont donc pu y goûter. C’est vrai que le communisme a fait des ravages jusque dans l’estomac des braves gens. Tout le monde a supporté, mais en fait ils avaient peur ! Ils ne comprenaient pas qu’on pouvait les manger vivantes. Il y a jusqu’à aujourd’hui une confusion entre moules et huîtres dans l’esprit des gens. »

Quel est aujourd’hui votre regard sur la République tchèque ?

« Je trouve ça assez terrifiant. Je suis d’une époque révolue et j’essaye de regarder ça de loin. Disons qu’au niveau de la presse, on peut être fier de quelques journalistes. Avant de venir au studio, j’ai passé en revue quelques hommes politiques. Mais je trouve que dans l’ensemble c’est terrifiant. Nous avons présidé l’Europe et qu’est-ce qu’on a fait ? On a saboté la présidence. Je trouve que depuis l’Autriche Hongrie on est les champions du ridicule, de vrais Chveïk. Là, on a un gouvernement soi-disant de technocrates. Et pendant ce temps-là les politiciens sont en vacances, bien payés. Comme le disait Adam Cerny du quotidien Hospodářské noviny, on a loupé la présidence et on a gâché l’après-présidence au moment de la préparation des élections législatives anticipées. Mais c’est vrai que depuis Havlíček, on est champions du gâchis. On s’y applique et on y arrive bien. »