Jan Šibík (deuxième partie)

Jan Šibík, photo: Štěpánka Budková
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Suite de l'entretien avec Jan Šibík, l'un des photoreporters tchèques les plus en vue de sa génération.

Jan Šibík,  photo: Štěpánka Budková
Récemment vous avez oraganisé une exposition de bienfaisance « Les mondes oubliés » dans le cadre de projets de bienfaisance, réalisée en coopération avec « Médecins sans frontières ». Vous avez travaillé sur plusieurs projets du genre. D’où vous vient le besoin de faire ce genre d’activités ?

« Je ne ressens pas vraiment le besoin de le faire. Ce sont les photos qui parlent pour un photographe et le résultat est certainement meilleur que de faire des activités humanitaires. Il faut se concentrer sur un objectif et le suivre au maximum. Si on fait trop de choses à la fois, le résultat est mauvais ou médiocre. C’est pour cette raison que je pense que les photos sont importantes pour un photographe. Par contre, parfois, il arrive qu’un événement me touche plus que d’autres qui se couvrent mutuellement, dirais-je. Parfois je suis quinze jours par exemple au Libéria où je vis certaines émotions, puis je pars pour l’Inde où il y a d’autres problèmes, peut-être tout aussi tragiques, mais les sensations se recouvrent.

Sierra Leone
La première fois, j’ai été très touché par la brutalité des événements à Sierra Leone. C’était en 2001. Lorsque j’ai vu des enfants avec bras et jambes coupés avec un coupe-coupe, j’ai eu l’idée de faire une collecte humanitaire. Je me disais toujours que la photo est proche des gens et j’étais curieux de voir quel effet cela pourrait avoir pour une collecte humanitaire. Le reportage a eu un grand succès, les gens étaient choqués de ce qui se passait au tournant du millénaire et de ce qui échappait aux médias. Il faut voir que la Sierra Leone est un tout petit pays connu surtout par ses mines de diamants. »

« L’exposition « Tendez la main aux enfants de Sierra Leone » a fait le tour de la République tchèque. Beaucoup de jeunes gens volontaires m’aidaient gratuitement à organiser des expositions dans leurs villes, des entreprises agrandissaient gratuitement mes photos pour que les expositions puissent avoir lieu parallèlement. L’argent collecté a servi à construire un aqueduc en Sierra Leone, mais ce qui a été le plus positif, c’est le fait que les gens soient capables de faire quelque chose pour les autres. Puis les gens m’écrivaient et me demandaient quand est-ce que j’allais recommencer. Mais moi, je ne voulais pas, je voulais faire des photos.

Odessa
Puis, en 2004, j’ai pris des photos de gens atteints du SIDA à Odessa. Il m’a fallu revenir à plusieurs reprises pour gagner leur confiance. Une vraie relation s’est créée entre nous et j’ai organisé l’exposition « Je veux vivre encore ! » du même genre. Mais cela ne veut pas dire que j’ai un sentiment social, peut-être un peu, mais je ne suis pas Mère Térésa. Lorsque je donne des conférences, je sais bien que beaucoup de gens me regardent avec des yeux idéalistes et parfois j’exprime des opinions qui peuvent leur paraître racistes, mais ils ne se laissent pas décourager.»

Vous avez fait beaucoup de reportages en Afghanistan ou en Ouganda. Avez-vous jamais pensé que ce sont des endroits très dangereux et que cela pourrait mal finir?

« C’est ce que je me dis souvent. Mais à l’heure actuelle je ne suis plus prêt à prendre de risques. Quand j’étais plus jeune, je ne m’en rendais pas compte, mais maintenant je sens bien le risque. Je pense que je suis craintif, j’utiliserais même un terme plus vulgaire, si vous voyez ce que je veux dire…! Je n’admets pas que quelque chose puisse m’arriver. On m’a tiré dessus, j’ai été visé à plusieurs reprises, mais je ne ressens pas le besoin d’en parler, je veux évacuer. Je ne veux pas que l’on me prenne pour un héros car ce n’est pas le cas.

Irak
J’essaie de minimaliser ce genre de situation par un raisonnement pragmatique, par mes expériences et en prenant un minimum de risques. Bien évidement, lorsque je suis dans un endroit miné où l’on tire et où il y a une tension ou une révolution, le risque existe. Ce genre d’endroits n’est pas une drogue pour moi, ma drogue c’est plutôt une photo de qualité. Prendre une photo impressionnante qui attire l’attention et arrête les gens dans la rue lorsqu’ils la voient affichée est une drogue, mais pas les guerres et les catastrophes. »

A-t-il été difficile pour vous de passer de la photo analogique à la numérique?

« C’est une question de sentiment, on s’habitue à quelque chose… J’aime les nouvelles techniques, mais dans ce cas, ça ne marchait pas. J’avais l’impression que les photos seraient moins bonnes, que se serait la fin de « la vraie » photo, et il m’a fallu du temps avant que je me rende compte que le type d’appareil et la façon de prendre les photos ne sont pas importants, que c’est la qualité des photos qui importe. Dans les forums on parle technique et objectifs comme si c’était une question de vie ou de mort. Parfois la référence des conférenciers concerne la photo de leur femme et de leur chien. Et là on se demande de quoi ils parlent. »

Je veux dire qu’avec un appareil photo numérique on peut prendre beaucoup de photos et les choisir dans l’instant, alors qu’avec un appareil analogue, la façon de travailler était différente, plus concentrée…

« Voilà, plus concentrée, déjà parce que le film avait un coût, le photographe ne pouvait pas claquer les photos comme aujourd’hui, il lui fallait réfléchir un peu plus. J’ai été un des derniers photoreporters à adopter l’appareil numérique. Et il y a cet avantage de pouvoir regarder les photos qui ne sont pas toujours instantanées, pour certaines on peut les inventer, les regarder le soir et les refaire ou les corriger. Mais il y a aussi des désavantages. Je fais toujours face au problème que je prends beaucoup de photos et après il est plus difficile de choisir. J’aime la technique, je suis mégalomane. J’ai toujours l’impression que je dois posséder l’appareil le plus sophistiqué et le plus sophistiqué fait d’énormes files, compliquées à stocker. Au fil des ans je change d’opinion.

Ouganda
Lorsque je travaillais pour le magazine « Mladý svět », et encore pendant assez longtemps quand j’étais employé au magazine « Reflex », j’étais contre la photo avec flash. Il est vrai que jusqu’à présent je ne fais pas de photos avec le flash. Mais, par exemple au festival de Karlovy Vary, où nous nous trouvons actuellement, il y a le plus souvent très peu de lumière. Il est possible de prendre des photos avec un appareil numérique, mais elles sont jaunes. Mes collègues prennent tous des photos avec un flash, en une minute ils en prennent six, toutes les photos sont nettes, même que l’ambiance n’est pas des meilleures justement à cause du flash, mais ils peuvent choisir parmi les six photos. Moi j’en quatre sur cinq de floues, donc je ne peux en utiliser qu’une seule, ce qui me dispense de choisir. Cela me mène à changer de style et d’opinion, mais je n’ai toujours pas de flash. »

Les prix ont-ils pour vous une grande importance?

« Ils sont importants pour deux raisons : primo ils rapportent de l’argent, à titre d’illustration un des prix m’a rapporté 5 000 francs, somme grâce à laquelle je peux ensuite me permettre de choisir n’importe quelle destination en Afrique, ce qui est super, secundo on en parle et ceux qui décident de la répartition de l’argent des sponsors me remarquent. Mais sinon c’est une farce…Comment voulez-vous évaluer une photo ? Un album obtient dans un concours le premier prix et un autre jury ne le classera même pas parmi les cinq premiers... Les prix, c’est bien, mais plutôt d’un point de vue pragmatique. »

Quelle sera votre prochaine destination?

« Ce n’est rien de vraiment formidable, je vais partir début août avec mon collègue de « Reflex » en Chine pour les Jeux olympiques. Nous allons photographier la vie quotidienne. On pensait que les manifestations allaient s’accenteur au cours de l’olympiade, mais les camarades chinois ont plutôt bénéficié du tremblement de terre et des protestations en Birmanie. Soudain les représentants communistes chinois se sont bien occupés de leurs citoyens alors que la junte militaire en Birmanie a réprimé les protestations de façon sanglante. Les Chinois se montraient alors sous un meilleur angle. De plus, la Chine a été frappée par le tremblement de terre. Je pense, que cela affaiblit énormément d’éventuelles protestations. J’irais même jusqu’à dire qu’en Chine, ils sont reconnaissants de ce tremblement de terre. Ce que je dis peux paraître un peu cynique, mais je ne serais pas étonné si les camarades chinois disaient : ça nous a réussi… »

Le grand photoreporter Jan Šibík, qui travaille actuellement comme photographe pour l’hebdomadaire «Reflex», a obtenu, entre autres, le troisième prix au concours World Press Photo 2004 pour ses photos de lutteurs hindous de kushti – dans la catégorie « Histoires de sport ». Le concours Czech Press Photo lui a rapporté des dizaines de prix dont le premier à deux reprises. Il a également obtenu le prix de la maison d’édition Ringier pour sa photo prise au Cambodge d’enfants traînant des sacs de déchets sous la pluie. Le Prix de l’UNHCR (Haut-commissariat des nations unies pour les réfugiés) lui a été attribué pour sa photo du camp de réfugiés Atiak en Ouganda, réalisé au cours d’un reportage en coopération avec « Médecins sans frontières».

Photos: Jan Šibík