Pierre Richard : « Tant que le cinéma restera une récréation, je continuerai »

Pierre Richard, photo: CTK

C'est une émission culturelle exceptionnelle aujourd'hui puisque Radio Prague vous propose un entretien avec le comédien français Pierre Richard. Quand Pierre Richard tourne un film à Prague, tous les journaux tchèques font suivre la nouvelle. Gérard Jugnot, Kad et le chouchou actuel des écrans français Clovis Cornillac ont les premiers rôles ? Qu'importe ! Pierre Richard est LE comique préféré des Tchèques, après Louis de Funès. Il joue dans le film de Christophe Barratier, Faubourg 36, en tournage à Prague.

Radio Prague est allé à sa rencontre, un jour de pluie, un temps de circonstance puisqu'il tournait dans le magnifique cimetière d'Olsany, sur les hauteurs de la ville :

Le cimetière d'Olsany
« On se trouve dans un cimetière. On assiste à l'enterrement d'un des personnages importants du film, Jacky. Ses amis lui rendent un dernier hommage. C'est une scène plutôt triste, mais dans un bel endroit parce que c'est un beau cimetière. C'est curieux parce que j'avais déjà tourné il y a plusieurs années dans ce cimetière. Donc il y a tous ses amis autour de lui, et comme c'était un fantaisiste, tout le monde a revêtu les vestes de ce personnage, des vestes un peu clownesques, en hommage à son souvenir, sa mémoire. Voilà, et il y a un petit discours, on pleure et on est triste. »

Et vous, votre rôle ? Pourriez-vous le décrire ?

« C'est un joli rôle. Je suis un chef d'orchestre. Mon personnage a été chef d'orchestre quand il était jeune, dans un music-hall à Paris. Il a été amoureux d'une femme, une femme qui l'a quitté et qui en plus est morte quelques temps après. Il ne s'en est jamais remis. Il s'est enfermé dans sa maison, c'est pour cela qu'on l'appelle Monsieur TSF. Pendant vingt ans il s'est enfermé sans avoir de contact avec l'extérieur, que par la TSF, par la radio. »

C'est pour cela que sur votre caravane c'est marqué 'TSF', ce n'est pas marqué Pierre Richard !

Pierre Richard,  photo: CTK
« Non, TSF... Il ne sortait pas. On lui apportait à manger, mais il ne bougeait pas. Et vingt ans après, il apprend l'arrivée d'une jeune femme. Il se rend compte que c'est la fille de la femme qu'il avait aimée, mais pas sa fille. Il ressort pour lui proposer des chansons, il réinvestit le music-hall, ce music-hall qui était en perte de vitesse. Il redevient chef d'orchestre et lance cette femme dans la chanson. Et la vie reprend pour lui. »

Comment vous sentez-vous dans un rôle des années 30 ?

A partir de là, ils ont eu pas beaucoup d'argent, mais quand même, et surtout du temps. On en parle beaucoup dans le film. C'est donc une période importante en France. D'où le titre du film d'ailleurs. Je ne sais pas à quelle période ça a commencé en Allemagne ou en Tchéquie, mais c'est un moment où les droits sociaux ont pris de l'importance en France. Alors oui, ça me concerne, ça ne m'empêche pas de dormir. C'était une période importante, six ans avant la guerre. Il y avait tout à coup une joie de vivre, qui bien sûr, s'est un peu éteinte en 1940, mais qui rayonnait sur la France : c'est l'époque de l'arrivée de Charles Trenet, le jazz débarquait à Paris, sous la forme du swing comme on disait. Musicalement, c'était aussi une époque importante. »

D'ailleurs, on croit reconnaître sur votre manteau Joséphine Baker...

« Oui, oui. C'était l'époque de Joséphine Baker, Maurice Chevalier, des artistes très charismatiques à l'époque. »

Des chanteurs charismatiques, une époque pleine de musique, tout comme dans le film Faubourg 36. Christophe Barratier y rend hommage au music-hall. Alors fait-il esquisser à Pierre Richard des pas de danse dans son film. Réponse :

« Ah non, j'aurais bien aimé. Surtout que j'ai vu les autres danser ! En plus, ça je sais toujours. J'avais envie de demander de danser un peu mais ce n'est pas mon personnage. Par contre je dirige des orchestres, et j'ai adoré ça ! J'ai pris un plaisir fou : un chef d'orchestre m'a appris. On croit que chef d'orchestre, c'est faire ça (geste) tranquillement, mais ce n'est pas ça : la main droite, elle fait le temps, si c'est quatre temps ou trois temps.

'Le Grand blond avec une chaussure noire'
Il faut faire partir les violons, les cuivres, il faut faire partir l'orchestre. Ca c'est avec la main gauche. J'ai pris un pied formidable. Comme je suis un peu musicien dans l'âme, j'ai pris beaucoup de plaisir. »

Allez, vous l'aurez aussi reconnue, cette petite musique... Composée par Vladimir Cosma, c'est celle du Grand blond avec une chaussure noire. Incontournable, en France comme en Tchécoslovaquie autrefois et en République tchèque aujourd'hui, ou en Allemagne voisine, toujours un rendez-vous télé des fans de Pierre Richard. Est-ce difficile de changer de peau après le Grand blond ? Pierre Richard :

« Non, jouer un autre rôle n'a pas été difficile. Le Grand blond avec une chaussure noire est devenu un énorme succès dans le monde entier, notamment en Allemagne. Ca me faisait plaisir. En même temps, après quand les Allemands, par exemple, achetaient mes films, même si ça n'avait aucun rapport avec le Grand blond, ils l'appelaient « le grand blond ceci ou cela ». Ca, ça m'agaçait un peu, parce que c'était parfois des histoires totalement différentes, un personnage différent, mais il y avait toujours le Grand blond. Mais enfin, je ne vais pas me plaindre d'un succès mondial. Qui oserait s'en plaindre ?»

La Chèvre
Finalement, on a l'impression qu'avec le temps, toute cette série de films que vous avez faits, avec ce personnage maladroit, jamais à sa place, vous avez créé un personnage, un peu comme Jacques Tati a créé Monsieur Hulot. Cette comparaison vous convient-elle ?

« Oui. Elle est même flatteuse. C'est vrai que j'ai apporté un personnage dans un univers où il était complètement décalé, soit à cause de sa distraction, soit de sa maladresse ou de sa malchance comme dans la Chèvre. C'était un personnage qui m'appartenait et qui m'a donné beaucoup de plaisir, et probablement du plaisir aux gens car il a eu beaucoup de succès. C'est aussi vrai qu'après, je n'avais pas l'intention de jouer ce personnage jusqu'à la fin de ma carrière, qui n'est pas encore finie. Et j'ai eu envie de faire autre chose. Mais avec le temps, j'ai fait d'autres choses, et je reviens à ce personnage, même s'il a trente ou quarante ans de plus. Ce sont toujours des personnages un peu lunaires, un peu tendres. Ca fait deux-trois films que je fais avec de jeunes metteurs en scène, et Barratier en est un qui, finalement, s'est servi de certaines caractéristiques de ce personnage. Pas du tout de l'aspect distraction ou maladresse, mais un certain personnage poétique. »

Le retour du Grand Blond
Faubourg 36 est une coproduction entre les Français Pathé, la société allemande Constantin et la société franco-tchèque Blue Screen Production qui assure le tournage à Prague. Et pourtant le thème porteur du film reste très français ...

« Quand je dis que le film se passe en 1936, c'est le décor au fond. Mais l'histoire est celle d'une amitié, d'un vieux music-hall, de trois-quatre garçons qui ont voulu rejoindre le music-hall, mais qui n'étaient pas très doués. C'est un film très musical. Le metteur en scène est lui-même prix de Conservatoire de guitare. Il adore la musique bien sûr, il l'intègre donc dans ses films puisqu'il a réalisé auparavant Les choristes. Celui-là, c'est le deuxième. C'est un film très musical, il y a beaucoup de chansons et de danse, autant de choses qui peuvent intéresser des Italiens, des Espagnols, des Allemands... »

Il paraîtrait que Pierre Richard rêve de tourner avec un metteur en scène en particulier... Tarentino ! Alors vrai ou faux ?

« J'ai un ami qui s'appelle Damien Odoul, j'ai fait un film avec lui. Il vient d'en faire un autre qui était à Venise récemment. Il a un côté Tarentino. Ce que j'aime bien chez Tarentino et ce que j'aimerais en tant qu'acteur, c'est faire des films violents. Et Tarentino, il fait des films violents, mais toujours avec de l'humour. C'est décalé. C'est presque surréaliste dans l'humour. Supposons que Tarentino veuille me prendre, je suis prêt à me raser la tête, avoir une balafre et être violent. Ça me plairait bien. »

Je ne fais plus de films burlesques, ça c'est vrai. Ce n'est pas parce que je n'aime plus. Au fond, les envies c'est comme un balancier. A un moment donné, j'ai eu envie de faire autre chose. J'ai fait autre chose, comme celui-là par exemple. J'ai refait un film burlesque avec un jeune metteur en scène, Essaye-moi, et j'ai adoré. Je reviendrais facilement à mes premières amours. Bon, la chose qui changerait, c'est je ne peux plus tomber d'un toit, glisser d'une gouttière... »

Vous ne pouvez plus faire de cascades...

« J'ai un petit peu perdu de ma souplesse, il m'en reste, mais plus comme avant ! Maintenant, mes critères, c'est spécifiquement, dans les rôles qu'on me propose, ceux pour lesquels je me dis : celui-là est drôle, amusant, ou joli, comme celui-ci. Mon critère c'est de m'amuser. Sinon je n'ai pas besoin de travailler autant. »

Vous avez reçu le César d'honneur en 2006. Et vous avez eu cette jolie phrase : « Ce n'est pas quarante ans de travail, mais quarante ans de récréation ». Vous le sentez toujours ainsi ?

« Oui, c'est pour cela que je m'efforce, pour que cela reste de la récréation, de faire des films qui m'amusent ou qui m'intéressent. Si c'est un travail j'arrête. Tant que le cinéma restera une récréation, je continuerai. Pourquoi je m'arrêterais de jouer ? Jouer dans tous les sens du terme... »