Deux visages de la jeune bande dessinée belge

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Trois jeunes auteurs, trois bandes dessinées. La délégation de Wallonie-Bruxelles à Prague continue à présenter aux Pragois la BD belge. Après les expositions de BD classiques et plus récentes, elle présente dans ses salles la création tout à fait contemporaine et tout à fait jeune. L'exposition qu'on peut y voir jusqu'au 26 janvier réunit trois auteurs nés autour de 1980. Aujourd'hui, je vais vous présenter deux d'entre eux : Marie Richter et Sébastien Thielens.

Marie Richter a étudié la bande dessinée à Liège, a réalisée plusieurs expositions et organisé des ateliers pour les handicapés. Elle s'intéresse aussi à l'affiche de théâtre et à la scénographie. A Prague, elle présente son adaptation pour la bande dessinée de la pièce « Roussalka » de Pouchkine, histoire tragique d'une fée tombée amoureuse d'un homme. Le théâtre et la BD sont d'ailleurs pour Marie Richter deux disciplines complémentaires :

« A mon avis, il y a beaucoup de points communs entre la BD et le théâtre. J'imagine le dessinateur et le créateur de la bande dessinée un peu comme un metteur en scène. J'imagine la case comme une scène de théâtre et le dessinateur comme un metteur en scène mais aussi un peu comme un dieu. Il invente ses personnages, il peut les dessiner lui-même, et après il les fait jouer une pièce. Le théâtre, on le trouve partout, même dans la vie. Si on observe une situation, on est observateur et les gens qu'on observe sont des acteurs. Donc je pense que tous les arts sont en rapport à ce niveau-là et il n' y a pas forcément de différences. Pour moi la bande dessinée est vraiment du théâtre dessiné. »

Peut-on adapter une bande dessinée pour le théâtre et, vice-versa, une pièce de théâtre pour la bande dessinée ?

« Je me suis souvent posé des questions à ce niveau-là parce qu'on en parle beaucoup. Le petit espace qui est entre les deux cases, c'est là où le lecteur peut se retrouver en lui-même, pour faire le lien. Parce que la bande dessinée est un art qui joue beaucoup avec le temps. C'est quelque chose qu'on n'a pas dans le théâtre. On n'a pas cet arrêt, peut-être pendant les entractes, mais on n'a pas cet arrêt entre chaque situation qui est vraiment tranchée par une ligne de blanc. »

Vous avez adapté pour la bande dessinée « Roussalka » de Pouchkine. Pourquoi un tel sujet?

« Je suis partie avec un ami à moi, Anton Bermann, un Russe, à Paris où nous sommes allés voir la pièce de Michel de Ghelderode, un grand auteur belge, réalisée et jouée par des acteurs russes. C'était «L'Ecole des bouffons » et je me suis donc retrouvée à Paris avec Anton, j'ai rencontré aussi son meilleur ami là-bas et nous avons parlé de théâtre et de plein de choses, et aussi de Pouchkine. Je ne connaissais même pas Pouchkine à vrai dire, je ne connaissais que le nom que j'avais vaguement entendu. Et cet ami d'Anton m'a dit : « C'est incroyable que tu ne connaisse pas Pouchkine, c'est notre Dieu presque, c'est notre grand auteur russe. » Et j'ai ensuite beaucoup posé la question aux jeunes de mon âge en Belgique, un peu plus jeunes, un peu plus âgés, et en réalité très peu de gens le connaissent. Je pense que par le biais d'un médium comme la bande dessinée, c'est accessible. Voir une pièce de théâtre, c'est rare. La BD permet donc de la faire apparaître en dehors de toutes ces pièces de théâtre qui sont dans les livres. Et si j'ai adapté une pièce russe, c'est aussi parce que je trouve important de s'intéresser également à l'art des autres pays, pour comprendre ce que les autres peuples ont fait. »

La BD est-elle un bon moyen pour faire connaître la littérature?

« Je pense que oui, surtout dans mon pays. Je crois qu'il y pas mal de jeunes qui décrochent, qui n'ont plus du tout envie de lire les livres. Maintenant on a plein de médiums différents, il y a les jeux vidéo, la télé qui prennent beaucoup de place. Et je pense qu'un jeune qui n'a plus envie de lire et qui commence à ouvrir une BD, fait le premier pas du retour vers la vraie lecture. Il y a des dessins qui sont amusants, bien sûr, mais on lit quand même. Moi-même je me suis retrouvée dans ce cas-là à une certaine époque où je n'avais plus envie de lire et la BD m'a redonné le goût de la lecture. Maintenant je suis une grande lectrice de livres. Et je pense que dans mon cas, c'est grâce à la bande dessinée que cela s'est fait. »


Sébastien Thielens dessine depuis tout petit. La BD était d'abord son hobby et plus tard il l'a étudiée à Bruxelles. Le monde qu'il invente pour ses lecteurs est un univers en noir et blanc et un peu onirique où la réalité se marie avec la fantaisie et le rêve. C'est dans cet univers souvent dangereux et plein de pièges qu'évolue l'héroïne de sa bande dessinée. Je lui ai demandé de nous présenter lui-même cette jeune fille excentrique:

« La bande dessinée que je fais, moi, ce sont plutôt des sujets imaginaires. Je ne suis pas tellement pour les adaptations littéraires à moins que ce ne soit un coup de coeur. Je préfère l'imagination. Mon but est de pouvoir mettre sur papier les choses qui n'existent qu'au niveau de l'intellect, donc créer un monde tactile par le biais de la bande dessinée. Ma BD s'intitule « Alice rêve », donc l'héroïne s'appelle Alice et c'est une fille qui est fort intériorisée, c'est-à-dire qu'elle vit beaucoup dans ses rêves. C'est une fille un peu complexée parce qu'elle a une espèce de prothèses remplaçant les bras. Donc, malgré que ce soit une jolie fille, elle est un peu bizarre, renfermée et du coup elle a développé un imaginaire très, très riche, un imaginaire qui va sortir d'elle tout au long de la bande dessinée et va se poser sur le monde qui l'entoure. Cet imaginaire va avoir des conséquences pour ce monde auteur d'elle. En gros, c'est un peu la métaphore du passage de l'enfance à l'adolescence ou de l'adolescence à l'état adulte. »

Elle vit dans un monde réel ou dans un monde fantastique ?

« C'est un monde fantastique, c'est futur, mais un futur très proche. Je n'ai pas voulu faire un futur avec des voitures qui volent et des choses pareilles. C'est un futur qui ressemble fort à la vie ici. Mais cela permet simplement d'extrapoler les choses et d'aller un peu plus loin. Je prend des idées actuelles mais cela me permet de les grossir, de pouvoir aller plus loin et de proposer une réflexion faite par rapport à la situation actuelle. »

Vous en êtes à la première BD de ce genre ou cela fait partie d'une série?

« Non, c'est la toute première bande dessinée qui va sortir chez Castermann en janvier 2008. Evidemment, il y a eu beaucoup de projets avant et il y a beaucoup de projet en cours qui sortiront plus tard. Donc c'est le tout premier projet et j'espère qu'il y en aura beaucoup après et que ce sera une longue série. Je crois qu'il y a encore beaucoup de choses à dire. Ma première BD comptera 140 pages, donc c'est déjà beaucoup mais je n'aurai pas tout dit. Cela peut donc aller très, très loin. »


Je vous ai présenté Marie Richter et Sebastien Thielens, deux jeunes auteurs belges qui exposent en ce moment leurs bandes dessinées à Prague. Nous parlerons du troisième auteur de cette exposition, Bruno Lorenzi, samedi prochain dans la rubrique « Rencontre littéraire ».