Devant et derrière la caméra, Mariana Otero dévoile le secret de sa famille et soulage des femmes aux quatre coins du monde

Mariana Otero, fille des peintres Clotilde Vautier et Antonio Otero, a quatre ans quand sa mère, alors au seuil d'une brillante carrière, disparaît. C'est en 1968. Quelque vingt-cinq ans plus tard, Mariana apprend la vérité sur la mort de sa maman apparemment absente de sa vie : non, elle n'est pas morte d'une appendicite, mais des suites d'un avortement clandestin.

A ce moment-là, sa fille fait alors figure d'une documentariste de renom. Sept ans après cette révélation, elle décide de placer la caméra devant soi-même, son père, sa soeur, son oncle et sa tante, devant les amis de sa mère et devant une infirmière à la retraite. Le but est de faire goûter aux spectateurs de son propre vécu. Lui faire découvrir, pas à pas, l'histoire du secret de sa famille.... de beaucoup de familles en fait... Voilà comment est né « Histoire d'un secret », film documentaire de Mariana Otero, projeté, fin janvier à l'Institut français de Prague, en présence de la réalisatrice. Mariana Otero:

« J'ai eu envie de faire quelque chose de cette vérité...Pour moi, c'était un film qui avait à voir avec ma famille, mais en même temps, et c'est ce m'a poussé à le faire, je savais que ce n'étais pas que mon histoire. C'est l'histoire des femmes depuis des siècles, et encore maintenant, dans beaucoup de pays... Je voulais révéler la difficulté de vivre une telle expérience quand l'avortement est absolument interdit et les drames que ça peut provoquer. Donc pour moi, il y avait à la fois une dimension intime, mais aussi politique, très forte, qui a fait que j'ai transformé cette histoire de famille en une histoire plus universelle. »

Donc c'est votre père qui vous a dit la vérité... Vous-même, vous n'aviez rien pressenti ?

«Moi, je n'ai absolument rien pressenti, j'avais accepté la version 'officielle' : on m'avait dit qu'elle était morte d'une appendicite et j'y croyais fermement. Par contre ma soeur, qui était plus âgé et qui avait toujours beaucoup plus questionné l'histoire officielle, elle, elle avait commencé à poser des questions. Un jour, elle a demandé s'il n'y avait pas dans l'histoire de notre mère des avortement, parce qu'elle-même en avait eu plusieurs et elle trouvait ça étrange. Là, mon père s'est dit que c'était le moment de raconter la vérité. »

Quelles étaient les réactions du public à votre film ? Est-ce qu'il y avait des gens qui vous ont contacté, après l'avoir vu, pour vous dire qu'ils avaient vécu la même chose ?

« Oui, il y a eu des histoires comme ça. Je me souviens par exemple d'une femme, c'était une Nantaise, qui n'habitait donc pas loin de Rennes, qui a compris, en voyant le film, que sa mère était décédée d'un avortement clandestin, alors qu'on lui avait dit que c'était un cancer. Dans le film, il y a plein de petits indices qui lui ont fait comprendre qu'il s'agissait de l'histoire de sa mère. Ça a eu le même effet sur elle que sur moi, c'est-à-dire que tout d'un coup, elle a eu accès à la vie de sa mère. Ce que j'ai compris aussi, c'est que quand on cache les raisons d'un décès, on cache aussi la vie. On retrouve la mémoire quand on fait la lumière sur les circonstances du décès. Il y a beaucoup d'autres femmes qui m'ont écrit ou qui ont raconté leur expérience lors des débats... Même des femmes qui ont avorté clandestinement à cette époque-là et qui n'en avaient jamais parlé à leurs enfants. Souvent, ces femmes sont revenues voir le film avec leurs filles. Je pense qu'il y a un tabou qui est levé avec ce film. »

L'avortement sous le régime communiste

« Histoire d'un secret » est un film doublement intéressant et touchant. Tout d'abord, on découvre une femme artiste exceptionnelle : à travers ses peintures, les endroits qui lui étaient chers. Et puis, sujet oblige, Mariana Otero nous fait prendre la température d'avant 1975 - l'année du vote de la loi Veil, relative à l'interruption volontaire de grossesse. Avant son adoption, rappelons-nous des propos de Mariana Otero, entre 2 000 et 10 000 femmes mouraient chaque année en France des suites d'un avortement clandestin. Où en était-on alors dans l'ancienne Tchécoslovaquie ? Ici, la situation était toute autre. Depuis 1957, l'IVG était une intervention fréquemment effectuée, devenue même, faute d'autres moyens, une sorte de contraception. Certes, les femmes tchèques et slovaques devaient passer un entretien devant des jurys spéciaux, dit « d'interruption », mais qui, en fin de compte, acceptaient presque toutes les demandes d'IVG. Une situation caractéristique pour tout le bloc communiste, à l'exception de la Pologne catholique. Précisons qu'en Tchécoslovaquie socialiste, le nombre d'IVG n'a jamais dépassé celui des accouchements, comme cela était le cas en URSS, en Bulgarie et en Roumanie. Les chiffres ont été tout de même extrêmement élevés en 1988 (97,1 IVG pour 100 accouchements), où les médecins pouvaient pratiquer également des mini-interruptions. Depuis la chute du communisme, le nombre d'IVG ne cesse de chuter.

Mais revenons à l'actualité brûlante : s'il y aurait, aujourd'hui encore, environ 300 000 décès par an, dans le monde, des suites d'un avortement clandestin, Mariana Otero voyage avec « Histoire d'un secret » justement dans les pays où l'avortement est totalement prohibé :

Histoire d'un secret
« Le film circule beaucoup par exemple en Argentine, où il est soutenu par des femmes militantes. Il est passé au Portugal, où l'avortement est aussi interdit et où il y a encore des décès. Le film a donc une vertu politique et militante importante et ça me réjouit. »

Comment êtes-vous venue au cinéma ? Vous n'étiez pas attirée par la peinture ?

« Ah non ! Je suis vraiment nulle en dessin. (rires) Je me demande d'ailleurs comment c'est possible d'avoir eu une mère aussi douée pour la peinture et le dessin et d'être aussi nulle... Par contre le cinéma, j'ai eu très envie d'en faire dès mon adolescence. J'ai fait l'école de cinéma nationale, à Paris, et très vite, je me suis tournée vers le documentaire. J'étais un peu déçue pas la fiction, je trouvais que c'était trop fermé, trop artificiel. J'avais envie de raconter des histoires, mais en étant en contact fortement avec la réalité. C'est seulement avec 'Histoire d'un secret' que j'ai commencé à travailler entre le documentaire et la fiction. C'est-à-dire qu'il y a une mise en scène. J'ai écrit le scénario, sans écrire les dialogues, bien sûr, parce que je ne savais pas ce que les gens allaient dire. Mais j'ai travaillé sur la mise en scène, sur la lumière... La construction du film me rapproche de la fiction. »

Vous dites que quand on cache les raisons du décès de quelqu'un, on cache aussi sa vie. Est-ce que vous avez appris des choses sur votre mère ?

« Au fur et à mesure des entretiens que j'ai eus, des rencontres que j'ai faites, j'ai réussi à me faire une image de qui elle était, plus vivante et plus charnelle que celle que j'avais avant. Ce qui est important aussi, c'est qu'à travers le film, j'ai essayé de donner une forme de représentation de l'absence. A ce niveau-là, j'espère que ça parle aux gens. Je n'ai pas essayé de dire, dans le film, qui elle était, parce que c'est impossible, mais plutôt de faire exister les fantômes, ceux qui ne sont plus là, mais qui sont pourtant là, dans nos têtes, avec nous... Donc c'était un travail cinématographique de la faire exister, à travers ses tableaux, le silence, le travail sur l'image... »

Histoire d'un secret
Sur quoi travaillez-vous en ce moment ?

« J'écris une fiction, justement, sur les femmes qui vivent clandestinement en France. Je retrouve des thèmes, mais je les travaille différemment par rapport à ce que j'ai fait habituellement. »

Je rappelle qu'Histoire d'un secret de Mariana Otero a inauguré, à l'Institut français de Prague, une série de projections de films soutenus par l'ACID (Agence du Cinéma Indépendant pour sa Diffusion). Ce cycle se poursuit le 22 février prochain, avec « La Peau trouée » de Julien Samani.

Auteur: Magdalena Segertová
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