Kossi Efoui: Je fabrique du réel par le chemin de la poésie

Kossi Efoui, photo: www.festadafricafestival.com
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C'est dans le cadre de la quatrième édition du festival "Afrique en création - Nous sommes tous Africains" qui a eu lieu du 8 au 15 avril dans les villes de Prague, Brno, Hradec Kralove et Liberec, en République tchèque, que nous avons fait la connaissance de l'écrivain Kossi Efoui. Né en 1962 au Togo, Kossi Efoui a étudié à l'Université du Bénin. Aujourd'hui il vit en France. Il a choisi l'exil, après avoir participé à des manifestations étudiantes durement réprimées dans son pays.

Kossi Efoui s'est fait connaître d'abord par ses pièces de théâtre pour s'imposer, finalement aussi, dans le domaine du roman avec "La Polka" publié en 1998 et surtout "La Fabrique des cérémonies" paru au Seuil en 2001. Ce dernier livre raconte l'histoire d'un ancien étudiant en Union Soviétique qui vivote à Paris, depuis la chute des régimes communistes, et revient finalement en Afrique pour faire des reportages pour un journal spécialisé dans le tourisme de catastrophe. A Prague, Kossi Efoui a assisté à une représentation de sa pièce de théâtre intitulée "Le Petit frère du rameur" traduit en tchèque par Michal Laznovsky. Kossi Efoui a répondu aussi aux questions de Radio Prague.


Vous venez d'assister à la représentation de votre pièce. Quelle a été votre impression. Avez-vous été surpris, déçu ?

"Très agréablement surpris. D'abord par la performance des acteurs qui me semblait restituer uniquement par la voix, par la présence vocale, par la respiration, la rythmique, la mastication des mots et c'était d'autant plus impressionnant pour moi que je ne parle pas tchèque. Alors, j'étais d'autant plus sensible aux sonorités, aux rythmes, et agréablement surpris par la façon dont ils arrivaient à exprimer par tous ces pauvres moyens, mais d'une efficacité extraordinaire à dessiner les personnages, à les dessiner uniquement par la présence vocale. Je pense qu'il devait y avoir aussi un très très bon travail de traduction parce que ce que j'entend, comme je n'ai pas accès au sens des mots, c'est la traduction d'une rythmique, d'une respiration du texte, c'est la traduction du corps de la plastique du texte, et je trouve cela formidable. "

Quelle a été l'impulsion qui vous amené à écrire cette pièce ?

"Il y a quelques années, j'étais en résidence en région parisienne, dans une ville qui s'appelle Epinay-sur-Seine et il y avait une forte concentration d'habitants qu'on appelle la première génération d'enfants d'émigrés. Ce sont des jeunes Français nés de parents émigrés. Pendant ce temps-là, j'ai eu beaucoup à discuter avec différents groupes de jeunes, et ce qui est apparu clairement c'était la distance. Il était souvent question de distance. Quant il est question de mémoire, il est question de distance; quant il est question de vision du monde, il est question de distance; quand il est question de levier poétique, de levier imaginaire, il est question de distance entre ces jeunes, et puis de ce qu'on leur a présenté et qu'on continue à leur présenter comme l'origine. L'origine est là-bas, eux, ils vivent ici. C'est comment ils essaient construire un pont entre ici et là-bas ou comment ils assument la rupture radicale qui m'a poussé à proposer cette pièce."


Kossi Efoui a failli étudier à Prague. Il voulait faire des études de mise en scène et on lui a dit qu'il n'y avait que deux pays où on pouvait étudier cette discipline, l'URSS et la Tchécoslovaquie. Il a donc postulé pour obtenir la bourse qui est finalement arrivée, mais Kossi Efoui ne l'a pas reçue, car le pays avait besoin d'ingénieurs agricoles et on lui a donc préféré un étudiant de cette discipline.


"Dans l'âme je suis un voyageur. Quand j'étais enfant, à l'âge de neuf ans, je voulais être explorateur. Et donc ce n'est peut-être pas un hasard si je fais de la littérature. C'est une certaine façon de jouer aussi aux explorateurs. Heureusement, dans l'espace de la poésie, le territoire est infini et je peux donc continuer à être explorateur. Je n'ai pas de fascination particulière de l'origine. Là où je suis né, c'est mon point de départ. C'est de là que je passe et que je me propulse vers les mondes qui m'attendent et si mon chemin repasse par l'origine, très bien, je m'y sentirais aussi à l'aise qu'au Brésil."

Qu'est-ce ce que l'Afrique représente donc pour vous. Vous avez dit que l'Afrique est une fiction, une invention du regard de l'autre. Qu'est ce que vous entendez par là ?

"J'entend que ce qu'on appelle l'Afrique est une sorte de globalité, un cliché global qui a des causes diverses et variées, des causes touristiques, économiques, politiques. On a eu tout intérêt d'imaginer une Afrique globale contre un Occident global, et on a fabriqué une vision globalisante de l'Afrique, de son esthétique, de son art. On parle de l'Art africain, mais on parle des créateurs occidentaux en les nommant, on ne parle pas de l'Art européen, et cela ne s'arrête pas là, on parle des courants, on parle d'individus, on parle des noms, de l'histoire littéraire, de l'histoire artistique, etc. Mais quand on dit l'Art africain, on imagine une espèce de création collective, nébuleuse. L'Afrique c'est le groupe, la communauté. Et c'est contre cela que j'ai sorti cette formule provocatrice en disant : Il y a non seulement plusieurs Afriques en tant qu'aires communautaires, linguistiques, culturelles, mais il y aussi plusieurs Afriques issues de la colonisation, c'est à dire des Etats fictionnels, des Etats nationaux qui n'en sont pas de vrais Etats. Ces Etats se disent vecteurs de la modernité, mais négocient le pouvoir avec les forces traditionnelles parce qu'ils ont besoin aussi d'utiliser l'intimidation par l'occultisme, par les pratiques occultes, par la superstition pour maintenir le pouvoir en place. Et en même temps, ils se disent vecteurs de la modernité et ces Etats sont à la gouverne des nations où la conscience nationale est une question très difficile et nébuleuse. Alors ces Etats-là constituent aussi les différentes consciences de l'Afrique. Et puis il y a l'individu qui pour moi représente le futur. C'est à dire, quand moi je me dis Africain, je n'appartient pas à cette fiction là, je me dis Africain au nom d'une utopie d'Afrique, au nom de la vision d'une Afrique qui n'existe pas encore. Quand je me dis Africain, c'est une incantation, c'est une invocation d'une Afrique que je participe à construire. Je sors de la fiction pour fabriquer du réel par le chemin de la poésie."