1989 ET MOI et moi et moi - Michel Fleischmann : « Le retour à Prague nous a fait pleurer »

Michel Fleischmann, photo: Lagardère

Nouvel épisode de notre série sur 1989 avec Michel Fleischmann, né à Prague et installé avec sa famille en France où son père homme de lettres et diplomate, Ivo, a demandé l’asile après l’écrasement du Printemps de Prague. Aujourd’hui pressenti pour devenir le nouvel ambassadeur tchèque en France, après avoir longtemps représenté le groupe Lagardère en Tchéquie, Michel Fleischmann est rentré pour la première fois dans son pays natal en décembre 1989, avec à la main le micro de France Culture, la radio française qui l’employait à l’époque :

Michel Fleischmann,  photo: Lagardère

« J’ai embêté la rédaction de France Culture pour qu’elle m’envoie à Prague. Finalement on a trouvé une solution qui me plaisait bien. Ils m’y ont envoyé comme journaliste pour faire un reportage qu’on a appelé ‘Retour chez soi’ »

Alors ça c’est en décembre seulement. Vous souvenez-vous de l’endroit où vous étiez le 17 novembre 1989 ?

« Je me souviens qu’on était avec mon frère Petr dans la rue et qu’on écoutait sur un petit transistor ce qui se passait. A l’époque on avait des petits transistors dans la main, pas des téléphones… On a appris les événements du 17 novembre, les manifestations d’après… Et on se disait ‘Enfin, il était temps !’. Je pense que c’était notre première réaction – on était impatient que ça s’effondre au niveau du parti communiste. Je m’en souviens très bien, on était à Paris du côté de la Place de la Nation. »

Quelle station de radio écoutiez-vous ?

« Je pense que c’était surtout France Inter, avec Europe 1 aussi de temps en temps. Immédiatement après, nous sommes allés à la maison de la radio et j’ai été un peu happé par les journalistes de Radio France pour commenter les événements. »

Le 17 novembre,  1989 | Photo: Archives de l’Université Charles

Avez-vous appelé vos parents ? Ecoutaient-ils la même radio en même temps ?

« Vous essayez de me pousser à mettre un peu d’émotion ! Je pense que bizarrement il n’y avait pas beaucoup d’émotion, d’abord parce qu’on était énervés que cela n’arrive toujours pas et dans le même temps on s’attendait à ce que ça arrive. Donc on a pris ça comme une évolution à peu près normale. Mais évidemment, c’est toujours plus facile de se demander pourquoi les Tchèques ne bougent pas plus vite quand on est à Paris; c’est plus difficile quand on est à Prague. »

Peut-être pas d’émotion sur le coup mais pour vous et votre famille cela signifiait quand même à terme la possibilité de revoir la famille et les amis dans le pays natal…

« Oui, sauf que ce côté émotionnel sur le retour auprès des êtres aimés vingt ans après est venu plus tard. Sur le moment, vous êtes dans l’action, vous avancez et vous essayez d’avoir des informations difficiles à obtenir – les téléphones ne marchaient pas aussi bien que cela. L’émotion vient quand vous y allez. »

Photo: ČT24x
« Le voyage en voiture que j’ai fait de Paris à Prague en décembre 1989 était vraiment très émotif. Le passage de la frontière vers la ville de Cheb a été particulièrement émotif et… horrible ! On est passé de quelque chose de lumineux en France et en Allemagne avant de rentrer à Cheb dans la grisaille, dans quelque chose dont on parlait et qu’on voyait en photos ou dans des reportages. Mais quand on le voit de visu, c’est vraiment autre chose : ce pays détruit, triste, gris, dans le brouillard. C’était terrifiant et très émotionnel. »

En plus en plein automne, ou même déjà en hiver. Vous souvenez-vous du jour exact ?

« Non je ne me souviens pas du jour mais je sais qu’on pleurait. Parce que c’était vraiment très fort. J’étais avec mon frère et une amie tchèque qui avait émigré l’année précédente, donc elle connaissait cette réalité que je ne connaissais plus. »

Parce que vous étiez parti vingt ans auparavant, à l’âge de 17 ans…

« C’est ça, c’était en 1969 et à 17 ans vous voyez tout en rose, donc c’était vraiment différent. »

« Et puis je suis allé directement chez ma tante, parce qu’on n’avait pas d’autre endroit où habiter et là c’était très bien de retrouver la famille. »

Des conversations reprises au même endroit, vingt ans après

Aviez-vous pu voir la famille avant ? Des membres de votre famille ont-ils pu vous rendre visite à Paris ?

« Le régime a laissé sortir ma tante quelques années avant pour voir ma mère, qui était déjà très vieille à l’époque (Staša Fleischmannová, la mère de Michel Fleischmann, doit fêter son centenaire le 24 septembre 2019, ndlr) et j’ai aussi vu une de mes cousines, une seule fois en vingt ans. »

« Ce qui est intéressant, et ce dont parle Milan Kundera dans un de ses romans, c’est ce côté émotionnel… »

« … Se retrouver et reprendre la conversation comme si on ne s’était pas quittés pendant vingt ans, avec un sentiment de continuité repris après une parenthèse longue de vingt ans. Et on s’aperçoit que les gens n’ont pas tant changé que ça, que ce sont toujours les mêmes personnes avec peut-être quelques rides en plus…»

Vous avez pris votre micro et êtes allé bosser directement après ?

« C’était amusant, j’avais imaginé faire un reportage mêlant ce qui se passe dans les rues, avec des micro-trottoirs. Ce n’était pas facile, les gens ne voulaient pas parler, ils avaient encore quelque chose de bizarre en eux et étaient faisaient preuve de retenue, avaient du mal à parler, même en décembre 1989. »

« Non, je ne vous rendrai pas votre appartement ! »

« L’idée du reportage était aussi d’un ‘retour chez soi’, donc on est allé avec mon frère dans l’immeuble du quartier de Vršovice où se trouvait l’appartement dans lequel on a passé notre enfance. L’immeuble était resté tel qu’il était vingt ans avant, l’ascenseur ne marchait toujours pas. »

« On a sonné à la porte de cet appartement, un monsieur nous a ouvert et avant même qu’on se présente il s’est mis à crier : ‘Non, je ne vous le rendrai pas !’ – j’avais mon micro ouvert et l’ai enregistré… On a compris que ça voulait dire qu’il ne voulait pas nous rendre l’appartement. On a appris ensuite que ce monsieur travaillait au niveau du parti communiste. Donc ces gens-là avaient conscience qu’il y avait un changement et que cela porterait atteinte à leur bien-être. Il nous a virés d’une manière rocambolesque – j’ai même eu peur qu’il sorte une arme. »

Petr Pithart en 1990 | Photo: Sokoljan,  Wikimedia Commons,  CC BY-SA 4.0 DEED
« On est sortis de là complètement étonnés et effrayés. Mais en même temps on a pu le prendre avec un peu d’humour, parce qu’on savait qu’il y avait un vrai changement en cours. »

Et professionnellement parlant, c’était pas mal comme son !

« Professionnellement c’était très intéressant ! Après j’ai fait une longue interview d’une heure avec Petr Pithart, un des représentants importants de la nouvelle Tchécoslovaquie qui est devenu ensuite Premier ministre. J’ai retrouvé cet entretien récemment et c’est intéressant, il y est déjà question de la privatisation de Škoda – et de l’intérêt de Renault -, en décembre ! »