L’histoire du fils tchèque d’un roi nigérian

'Sept ans en Afrique', photo: Radio Prague Int. / Prostor

« Le premier contact avec l’Afrique m’a terrifié, » dit Obonete S. Ubam à propos de son premier voyage au Nigeria où il a rendu visite à son père, général de police et haut dignitaire dans la hiérarchie traditionnelle du pays. A ce moment-là, le jeune homme ne sait pas que le Nigeria deviendra sa seconde patrie et qu’il lui consacrera un livre intitulé Sept ans en Afrique. Le livre sorti aux éditions Prostor a pour sous-titre : L’histoire du fils tchèque d’un roi nigérian.

Fils d’une Tchèque et d’un Nigérian

Obonete S. Ubam,  photo: Archives de ČRo
Trop noir pour les Tchèques, trop blanc pour les Africains - c’est ainsi que se caractérise Obonete S. Ubam, né en 1976 dans la ville de Bruntál en Moravie du Nord. Les premières années de la vie de cet enfant, né d’un père africain et d’une mère tchèque, ne sont pas faciles car la couleur de sa peau, ne lui permet pas de s’intégrer facilement parmi les enfants de son âge. Ses parents se sont mariés pendant leurs études à Kiev en Ukraine mais les autorités qui ne voyaient pas d’un bon œil ce mariage mixte, ne leur permettent pas de vivre ensemble. Séparés physiquement, les deux époux finissent pas se séparer formellement. Ils divorcent, le père retourne en Afrique, la mère et son fils restent en Tchécoslovaquie.

Ce n’est qu’à l’âge de 15 ans que le fils se rend pour la première fois au Nigeria pour rendre visite à son père qu’il n’a jamais vu. Ce premier contact avec la patrie de son père est pour lui un choc violent qui restera gravé dans sa mémoire et, comme il avoue, ne lui permettra jamais d’aimer profondément l’Afrique. Il n’arrive pas à se faire à la misère terrible, à la cruauté des gens, aux maladies tropicales et au climat africain malgré le luxe relatif et le respect général dans lequel vit son père. Dans son livre il décrit avec beaucoup de détails évocateurs les contrastes violents entre la pauvreté et la richesse dans la vie des Nigérians, leur mode de vie, leurs traditions, leurs rituels et leurs superstitions. Il doit s’habituer à la différence entre les mentalités européenne et africaine :

« En Tchéquie par exemple il est habituel de réagir aux situations. Au Nigeria et surtout dans ma position, c’est une faute quasi fatale. Vous ne devez pas réagir immédiatement. Vous devez attendre, vous devez réfléchir. Plus vous passez de temps avant de donner une réponse, plus vous êtes respecté. »

Une famille polygame

Photo: Prostor
Neuf ans après la naissance d’Obonete S. Ubam, son père a fondé une nouvelle famille. Ce général de police et chef des guerriers des tribus locales est considéré comme le roi de la région. Il aura successivement quatre épouses qui lui donneront neuf enfants. Obonete S. Ubam explique que cela est conforme avec les habitudes et les usages du pays et cite le cas d’un de ses oncles qui a eu 42 épouses et 98 enfants. La grande famille du général de police correspond donc tout simplement à sa situation sociale :

« Il était un seigneur traditionnel et dans sa situation avoir plusieurs épouses faisait partie des traditions, des bonnes mœurs. En plus, le Nigeria n’est pas vraiment un Etat de droit. Vous devez chercher à avoir le plus grand nombre possible de fils qui défendront ce qui vous appartient après votre départ ou pendant votre vieillesse lorsque vous manquerez de forces. »

Obonete S. Ubam est le premier fils du général, « akpan », et sa naissance lui donne certains droits mais aussi certaines responsabilités vis-à-vis des autres membres de la famille. Le jeune homme qui rentre en Europe, n’envisage pas de vivre en Afrique. Il étudie d’abord à l’Académie militaire, puis se lance dans des études de droit, et après avoir reçu son diplôme, il occupe plusieurs postes de manager.

Quand les masques tombent

Le père d’Obonete S. Ubam,  photo: repro,  Obonete S. Ubam,  Sedm let v Africe / Prostor
En 2005, il apprend que son père est mort. Le général laisse huit enfants qui n’ont pas encore atteint la majorité et sa dernière épouse Rina, une femme ambitieuse et intransigeante qui se déclare l’héritière principale des biens familiaux. Les masques souriants tombent et des parents, des collaborateurs et des connaissances du père se mobilisent pour arracher chacun sa part de la fortune considérable du défunt. Obonete S. Ubam se voit obligé d’intervenir pour protéger ses frères et sœurs qui restent sans défenses contre ces prédateurs :

« Les gens chargés de la gestion de nos biens ont commencé à les piller, à tout dérober. Je n’avais pas de choix, j’étais acculé. Je pouvais soit fermer les yeux, laisser les voleurs nous dépouiller complètement et devenir celui que serait maudit par plusieurs générations de ma famille, soit faire mes bagages, faire mes adieux à la vie à Prague et en Tchéquie et partir au Nigeria pour faire face à cette situation. »

Photo: repro,  Obonete S. Ubam,  Sedm let v Africe / Prostor

Des rapaces et des requins

Obonete S. Ubam avec son père,  photo: repro,  Obonete S. Ubam,  Sedm let v Africe / Prostor
C’est le processus difficile et dangereux de la récupération et de la protection des biens de la famille dans la période entre 2005 et 2012 qui est le thème majeur du livre qu’Obonete S. Ubam a intitulé Sept ans en Afrique. Ce combat pour sauver les biens de la famille est aussi une lutte contre la mentalité africaine. Et c’est un affrontement sans merci. Le jeune homme sait que le Nigeria est un pays redouté par les Africains et les Nigérians sont considérés comme des requins qui cherchent sans scrupules à atteindre leurs objectifs. Mais cette fois-ci, il ne peut pas compter sur le soutien de son père et se sent seul au monde. Il est presque incroyable que le jeune Européen arrive à surmonter les dangers, les obstacles, les pièges et les mensonges qui s’accumulent sur son chemin :

« Liquidation physique, maladies tropicales, morsure de serpent, piqûre de scorpion, enlèvement - je décris toutes ces choses dans mon livre parce que presque tout cela m’est arrivé réellement. Deux fois j’ai subi une agression armée, plusieurs fois j’ai contracté la malaria et une fois même simultanément avec la typhoïde. Pendant une période, les enlèvements dans notre ville étaient si fréquents que nous apprenions pratiquement tous les deux jours qu’une personne de notre connaissance, de notre famille ou une personnalité importante avait été enlevée. »

Des épreuves qui donnent une force intérieure

Obonete S. Ubam,  photo: repro,  Obonete S. Ubam,  Sedm let v Africe / Prostor
Pour survivre à cette lutte violente et sournoise à la fois, Obonete S. Ubam est contraint d’utiliser tous les moyens possibles. Il avoue dans son livre avoir eu recours, lui aussi, à la force, à la ruse, à l’escroquerie, à la corruption. Sans ces moyens il n’aurait pas pu résister à ses adversaires et pouvoir finalement sauver et restituer leurs biens à ses frères et sœurs parvenus à la majorité. Son devoir d’aîné achevé, il retourne en Europe. Aujourd’hui il vit en Espagne où il dirige une petite agence immobilière, et il écrit pour partager avec les lecteurs l’expérience de sa vie :

« Quand vous atteignez un tel niveau de désolation et de désespoir, quand vous souffrez de deux maladies mortelles à la fois, et vous vous trouvez à un endroit qui ne figure même pas sur les cartes de Google, vous pouvez trouver une espèce de foi qui est votre lien entre le monde terrestre et l’autre dimension vers laquelle vous vous peut-être acheminez. C’est ainsi que j’ai trouvé Dieu. Cela m’a donné beaucoup de force. Avec la distance dans le temps je le prends comme une véritable bénédiction. J’ai eu l’occasion de vivre des situations qui m’ont tellement endurci que je sais aujourd’hui que je peux me fier à moi-même. Je sais quelle pression je suis capable de supporter et cela simplifie ma vie. Je n’ai plus peur de faire un pas vers l’inconnu. »

Photo: repro,  Obonete S. Ubam,  Sedm let v Africe / Prostor