Mémoire rom : le camp de Lety, la tentation des politiques tchèques

Foto: Museo de la Cultura Gitana

C’est un thème récurrent de la vie politique en République tchèque : de temps à autre, président, ministres ou députés se plaisent à remettre en cause la nature réelle du camp de Lety (Bohême du Sud) durant la Deuxième Guerre mondiale, où plusieurs centaines de Roms notamment sont morts et sur le site duquel se trouve, pour quelques semaines encore, une porcherie industrielle. Le dernier politique en date à avoir mis les pieds dans le plat est Tomio Okamura, le leader du parti d’extrême droite Liberté et Démocratie directe (SPD).

Tomio Okamura,  photo: Prokop Havel,  ČRo
« Le mouvement SPD ne remet absolument pas en cause les faits historiques objectifs qui témoignent de la souffrance des gens qui ont été internés dans le camp de travail et de concentration à Lety durant la Deuxième Guerre mondiale. »

A entendre tout récemment encore Tomio Okamura, on pourrait penser que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes et qu’il ne s’est finalement rien passé de très grave. Ou plutôt que le leader du SPD n’a rien dit de très grave. La réalité, pourtant, reste cette déclaration faite au micro d’une journaliste de la chaîne d’information en ligne DVTV peu après l’annonce de la réélection de Miloš Zeman dans les fonctions de président de la République. Voici donc ce qu’avait alors affirmé Tomio Okamura :

« Un grand nombre de victimes juives, car j’ai beaucoup d’amis parmi les Juifs, y compris des victimes d’Auschwitz, se sont adressées à moi pour me demander pourquoi en République tchèque nous plaçons au même niveau le camp de Lety et le camp d’extermination d’Auschwitz. J’ai donc consulté une déclaration de Václav Klaus et un ouvrage de l’Académie des sciences consacré aux faits et aux mythes relatifs au camp de Lety, où il est écrit par exemple que le camp n’était pas clôturé et que les gens pouvaient se déplacer librement. »

Tomio Okamura n’est pas le premier politique tchèque à mettre en doute l’objet et la fonction du camp de Lety. Sans remonter jusqu’à l’ancien président de la République Václav Klaus, on se souvient par exemple qu’il y a un peu moins d’un an et demi de cela, Andrej Babiš, qui était alors ministre des Finances, avait heurté la mémoire rom en affirmant que Lety n’avait été qu’un camp de travail et non pas de concentration (cf. : http://www.radio.cz/fr/rubrique/faits/andrej-babis-heurte-la-memoire-rom). Le Premier ministre, qui n’a pas la mémoire courte et se souvient des réactions d’indignation que ses déclarations avaient suscitées, a donc été un des rares à accepter les pseudo-excuses de Tomio Okamura, après, explique-t-il, avoir entendu ce dernier s’exprimer à la télévision :

Le camp de Lety | Photo: Musée de la culture rom
« Il prétend qu’il s'agit d’une fausse interprétation de ses propos. Il a donc démenti et s’est aussi plus ou moins excusé. Je n’étais pas là quand il a fait ses déclarations, mais si je m’en tiens à ce que je l’ai entendu dire, je pense que cela est suffisant. »

Cet avis n’est cependant pas celui de beaucoup d’autres politiques et des associations œuvrant pour la mémoire du génocide de la minorité rom par les nazis durant la guerre. Plusieurs plaintes ont déjà été déposés et tandis que le parti chrétien-démocrate réclame la révocation de Tomio Okamura de ses fonctions de vice-président de la Chambre des députés, le ministre de la Justice, Robert Pelikán, pourtant proche collaborateur d’Andrej Babiš, a, lui, exprimé sa vive inquiétude et appelé un des personnages politiques les plus en vue de ces derniers mois en République tchèque à un peu plus de dignité en cessant de comparer les tragédies humaines ou, mieux encore, en se taisant. « La mort ne fait pas de différences entre les hommes », a conclu le ministre, sans toutefois se faire d’illusions sur le fait que quoiqu’il puisse dire sur le sujet de Lety, cela tombera en République tchèque de toute façon probablement toujours dans les oreilles d'un certain nombre de sourds.