Le tchèque du bout de la langue

TV-Kampagne für tschechische Ratspräsidentschaft
0:00
/
0:00

Salut à tous les tchécophiles de Radio Prague – Ahoj vám všem, milovníkům češtiny Radia Praha ! Pour ce premier « Tchèque du bout de la langue » en 2009, nous vous souhaitons bien entendu tout d’abord une bonne et heureuse nouvelle année – Šťastný Nový rok ! Une première émission qui est l’occasion de revenir sur quelques thèmes abordés au cours de l’année écoulée. Et le premier d’entre eux est relatif à la principale actualité tchèque de ce début d’année, la prise de présidence de l’Union européenne par le gouvernement tchèque. Une présidence quelque peu redoutée à Bruxelles et dans d’autres capitales des Vingt-sept Etats membres tant elle est annoncée imprévisible. Et il est vrai que la campagne nationale annonçant cette présidence tchèque a eu de quoi laisser perplexe.

Commençons par décortiquer le slogan polémique, sorti il y a quelques mois des bureaux créatifs d’une agence publicitaire : « Evropě to osladíme ! », soit littéralement « Nous allons sucrer ça à l’Europe » ! Ce slogan ne manque pas d’ambiguïté car le verbe « osladit » possède plusieurs sens. La première de ces significations est « sucrer » mais peut aussi évoquer l’idée d’« adoucir, rendre plus agréable »… Ainsi, lorsque l’on dit « osladím si den » - « je vais me sucrer la journée », on comprend par là « je vais faire quelque chose aujourd’hui qui rendra ma journée plus agréable » comme, par exemple, manger un gâteau, m’acheter un livre, voir un joli film ou encore faire une ballade.

Toute la subtilité de ce slogan tchèque si ambigu repose sur le petit mot « to » - « ça, ceci, cela ». Le verbe « osladit » peut en effet alors prendre une toute autre connotation, « osladit to »évoquant un ricanement, une revanche teinté d’ironie. Ainsi lorsqu’un Tchèque dit « osladím ti to ! », soit littéralement « je te sucrerais ça », il fait référence à quelque chose qui l’a dérangé chez son interlocuteur et l’informe des conséquences de ses actes - « je te le rendrais, je me vengerais, je vais t’en faire baver quand tu t’y attendras le moins, je me charge de te le pimenter la prochaine fois ».

Subtilité de la phrase parce que ce petit « to », s’il peut donner ce sens au verbe « osladit », peut également être compris de manière tout à fait neutre, comme un petit « ceci, cela » insignifiant – « Nous sucrerons cela à l’Europe » - le « cela » peut aussi être un petit rien précisant ce qui sera sucré. « Cela » peut donc aussi, dans cette phrase, être sucré au sens évoqué du verbe « osladit »– « adoucir, rendre plus agréable »… Sens repris par le spot publicitaire, qui fait apparaître à l’écran sept personnalités tchèques sur fond musical de l’Hymne à la joie, qui sucrent leur café avec un clin d’oeil et un morceau de sucre (une invention tchèque de 1841) – l’architecte Eva Jiřičná, la danseuse étoile Darja Klimentová, le savant Antonín Holý, la mannequin Tereza Maxová, les sportifs Jaromír Jágr et Petr Čech et le chef d‘orchestre Libor Pešek – autant de personnalités qui contribuent en effet à rendre d’une certaine manière l’Europe plus agréable. Reste que le double sens du slogan a quand même été voulu par la présidence tchèque.

Photo: Štěpánka Budková
Dans une autre émission, nous vous avions expliqué pourquoi les Tchèques peuvent répondre à la question « Salut, comment ça va ? » - « Ahoj, jak se máš ? » - « Bof, pas terrible, ça pourrait aller mieux ». Précisons d’abord que si les Tchèques se saluent bien, ils ne se demandent pas systématiquement comment ils vont, comment se porte leur interlocuteur, comme cela est le cas presque systématiquement en France, par exemple.. Une partie de l’explication se trouve peut-être dans le fait que les règles de civilité différent d’un pays à l’autre, d’une population à l’autre, d’un groupe à l’autre. Ainsi, les Tchèques, s’ils se connaissent et se voient régulièrement, ne se serrent généralement pas la main ou ne s’embrassent pas lorsqu’ils se saluent. Lorsqu’un Tchèque arrive sur le lieu de son travail et entre dans son bureau où se trouvent déjà ses collègues, il ne fait pas le tour de la pièce pour leur serrer la main ou leur faire la bise. Il se contente de lancer un « bonjour » ou « salut » à l’ensemble de l’assemblée en entrant dans la pièce. Précisons bien qu’il ne s’agit pas là d’un manque de politesse, de courtoisie ou de savoir-vivre mais tout simplement de l’usage en cours. Néanmoins, il devient du coup forcément plus compliqué de lancer un « salut, comment allez-vous ? » dans la pièce alors qu’il ne s’adresse pas à une personne en particulier.

Mais il en va aussi de même lorsque seulement deux Tchèques se rencontrent. Certes, il arrive ici aussi qu’ils se demandent « Jak se máš ? » et répondent sans vraiment réfléchir « dobře a Ty ? » - « bien et toi », tout simplement parce que l’usage le veut. Mais il ne s’agit pas non plus d’un usage automatique et, par conséquent, si un Tchèque vous demande « comment ça va ? », il peut poser la question parce qu’il s’intéresse vraiment à « comment vous allez ». Bref, il s’agit d’une vraie question, d’une question ouverte, dont on attend une réponse. Dès lors, il devient possible pour un Tchèque de répondre autre chose que « dobře » - « bien », et peut très bien vous dire, par exemple, sans se sentir gêné « nic moc » - « pas terrible », « mohlo by to být horší » - « ça pourrait être pire », ou encore, par exemple, « ujde to », soit l’équivalent de « ça va encore » ou « comme-ci comme ça ».

En espérant que la République « sucre ça à l’Europe » de telle manière à ce que celle-ci aille du mieux possible et non pas seulement « comme-ci comme ça », c’est ainsi que se referme ce premier « Tchèque du bout de la langue » de l’année. En attendant de vous retrouver dès la semaine prochaine, portez-vous du mieux possible – mějte se co nejlíp !, portez le soleil en vous – slunce v duši, salut et à bientôt – zatím ahoj !