Un petit-déjeuner historique

Le petit-déjeuner au Palais Buquoy le 9 décembre 1988
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Il y a vingt ans jour pour jour était organisé à Prague un petit-déjeuner qui allait rester dans l’histoire. Le 9 décembre 1988, le Président de la République française, François Mitterrand, invitait une dizaine de dissidents tchécoslovaques au Palais Buquoy, siège de l’ambassade de France à Prague. Parmi les invités, il y avait notamment Václav Havel, qui allait devenir un an plus tard Président de la Tchécoslovaquie.

Le petit-déjeuner au Palais Buquoy le 9 décembre 1988
Jiří Dienstbier, Jiří Hájek, Petr Uhl, Václav Malý, Ladislav Lis, Miloš Hájek, Karel Srp, Rudolf Battĕk et Václav Havel : ce sont les neuf dissidents tchécoslovaques qui ont participé à ce petit-déjeuner dans la matinée du 9 décembre 1988, onze mois avant la chute du mur de Berlin et la révolution de velours tchécoslovaque. Un petit-déjeuner souvent décrit comme la première reconnaissance officielle à ce niveau d’une dissidence tchécoslovaque traquée depuis la création de la Charte 77.

Sur les photos qu’il reste de cet événement, François Mitterrand, réélu huit mois plus tôt pour un second mandat, est entouré par Václav Havel et Petr Uhl. A la table il y a aussi le ministre français des Affaires étrangères de l’époque, Roland Dumas. Il y a quatre ans, Roland Dumas, de passage à Prague, nous avait parlé de ce petit déjeuner historique :

Roland Dumas,  photo: CTK
« Oui, en effet, c'est moi qui l'avais organisé. J'avais fait une première visite ici, du temps de l'ancien régime, et avais pris contact avec les dissidents. Revenu à Paris, j'avais dit à François Mitterrand : 'Il faut vraiment aller à Prague et exiger des autorités du moment de pouvoir rencontrer les opposants'. Cela avait donné lieu du reste à un accrochage assez sérieux avec le président Husák de l'époque, mais ils avaient cédé. Donc ce petit-déjeuner a eu lieu, il est resté célèbre et historique. J'en ai parlé encore hier avec Václav Havel, qui a bien voulu me recevoir. C'est resté comme un grand moment de l'histoire entre nos deux pays.»

Qu'est ce qu'il vous reste, à Václav Havel et à vous-même, de ce petit déjeuner ?

« Beaucoup de choses, on en a profité pour évoquer des anecdotes. Je lui ai rappelé que quand il est entré dans la salle à manger de l'ambassade, il s'est assis à table, à la gauche du Président François Mitterrand. Il a posé son petit baluchon, et s'est excusé auprès de lui en disant : 'Monsieur le Président, je m'excuse beaucoup, mais j'ai pris avec moi mes affaires de toilette parce que, on ne sait jamais, mais il est possible qu'en sortant d'ici, j'aille tout droit en prison.' C'est resté comme une anecdote, que je mentionnerai dans mes mémoires... »

Cette année, à l’occasion du Forum 2000, un événement spécial a été organisé en souvenir de ce petit déjeuner, en présence d’opposants et de dissidents de plusieurs régimes non démocratiques. A cette occasion, Václav Havel a rappelé combien selon lui il était important de soutenir l’opposition démocratique dans tous les pays où elle est en difficulté. Il s’est lui aussi souvenu de l’ambiance dans laquelle les dissidents tchécoslovaques avaient partagé le café avec le président français :

« J’étais persuadé comme les autres qu’ils allaient comme d’habitude nous arrêter sur le chemin de l’ambassade et nous emmener pour nous faire subir un interrogatoire et nous empêcher de nous y rendre. Je m’y étais même préparé, j’emportais toujours ma brosse à dents avec moi. Mais ils ne nous ont pas arrêtés. Ce fut un événement crucial qui mérite qu’on le rappelle vingt ans après. »

« Ce fut le signe que les choses commençaient à changer. Je ne dis pas que le rideau de fer a commencé à tomber, mais les premières fissures ont commencé à apparaître. Juste après ce petit déjeuner nous avons organisé la première manifestation qui n’ait pas été dispersée par les forces de l’ordre. Pourquoi le rappeler aujourd’hui ? Parce qu’il faut montrer combien la solidarité est importante, combien était important à l’époque le soutien d’hommes d’Etat démocratiques à ceux qui réclamaient la liberté et le respect des droits de l’homme dans la partie communiste du monde. »

« Après les changements historiques qui ont suivi, j’ai proposé au président Mitterrand de réorganiser un petit déjeuner cinq ans après. Il a aussitôt accepté, l’idée lui a tout de suite plue, et il est venu avec Roland Dumas, et avec tous les dissidents de l’époque nous avons commémoré l’événement. »

Václav Havel avec Rama Yade  (à gauche),  Alexander Milinkevitch  (en arrière) et Zoya Phan  (à droite),  photo: CTK
La secrétaire d’Etat française aux droits de l’homme Rama Yade était présente à Prague pour cet événement spécial auquel ont participé notamment l’opposant biélorusse Alexander Milinkevitch et la Birmane Zoya Phan. Rama Yade n’avait que douze ans en 1988 mais pour elle le petit déjeuner pragois était une « transgression » dont il faut s’inspirer aujourd’hui :

« Il y a vingt ans, en 1988, le président François Mitterrand rencontrait lors d’un petit déjeuner les dissidents tchécoslovaques et le premier d’entre eux, Václav Havel. C’était un moment historique qui avait un parfum de transgression, mais qui a eu lieu, et un an après ce fut la chute du mur de Berlin et un peu après l’élection de Václav Havel à la présidence de la République. Ces gestes-là, qui ont l’air simple, ne sont pas anodins parce qu’ils ont des conséquences politiques. »

« J’ai proposé au président Havel qu’on se retrouve ici à Prague, vingt ans après, pour célébrer cet événement, mais avec d’autres dissidents. Il y avait ici trois dissidents tchécoslovaques qui avaient participé au petit déjeuner de l’époque. Mais il y avait aussi, parce qu’on ne veut pas être que dans le souvenir, des personnalités venues de Cuba, de Birmanie, de Biélorussie... Ce sont des causes importantes en matière de droits de l’homme aujourd’hui. Il faut accompagner ces personnalités sur le chemin de la démocratie. Et quel plus beau symbole que de le faire ici à Prague, vingt ans après le petit déjeuner français ? »

Et si nous célébrons les 20 ans de ce petit déjeuner et des premières fissures dans le rideau de fer en cette fin d’année 2008, l’année 2009 s’annonce aussi riche en commémorations, avec les 20 ans de la chute du mur de Berlin et bien sûr les 20 ans de la révolution de velours en novembre prochain.